Notes sur la conférence d’Yves Lenoir : « Enfants de Tchernobyl Bélarus »


Samedi 26 avril 2025, de 17 heures à 19 heures. – À la Librairie Thuard (au second étage), 24 rue de l’Étoile, 72000 Le Mans.

« État sanitaire des enfants de Tchernobyl trente-neuf ans après la catastrophe, et le programme nucléaire en France ? » tel était le cadre de l’intervention d’Yves Lenoir pour cette conférence. On en a malheureusement perdu la captation numérique que nous comptions vous restituer.

Pas facile d’en extraire l’essentiel quand tout l’est ! Puissent ces quelques notes y contribuer modestement.  

Retours sur un désastre 

En juste deux heures (échanges avec le public, provision de documentation compris) et un auditoire de près de vingt-cinq personnes resserrées au second étage de la librairie Thuard [1], Yves Lenoir a brossé les tragiques conséquences du méga-accident du réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, intervenu trente-neuf ans aupara-vant — jour pour jour ce 26 avril — lors d’un exercice technique mal contrôlé !

L’explosion et dix jours d’incendie ont libéré une masse vertigineuse de produits radioactifs : de 200 à 500 fois plus que la bombe d’Hiroshima. Ils se sont propagés par taches dites  « de léopard » — sans homogénéité — au gré des vents, des pluies qui rabattront et rabattent encore les particules radioactives au sol… « Préparées » en vue d’une guerre nucléaire, les autorités soviétiques ont tenté de contrôler les précipitations. Çà et là, une dizaine d’avions ont ensemencé les nuages d’iodure d’argent, forçant le relâchement de leurs eaux empoisonnées sur les zones à moindre population en ménageant les villes. D’immenses territoires, qui sont aujourd’hui en Ukraine, Biélorussie et Russie, ont cependant notoirement été impactés. Une immense quantité de radionucléides ont aussi longtemps poursuivi leur circonvolution autour de la planète en se répandant sur les sols, les océans… in fine dans la chaîne alimentaire… 

En queue de comète, au nord-ouest de l’Europe, la France a aussi été impactée (le Sud-Est et la Corse notamment, mais pas seulement). Contrairement à ses voisins, elle n’a requis aucune mesure de prévention ni de protection sanitaire. L’équivalent de 20 % de sa surface ont été contaminés par plus de 40.000 Bq/m². En toute irresponsabilité, notre pays, suréquipé en infrastructures nucléaires civiles et militaires, a, de surcroît, choisi le déni (selon l’hyperbolique arrêt du nuage à la frontière) plutôt que de jeter l’opprobre sur sa propre option nucléaire.

Y. Lenoir nous éclaire

En préambule, Yves Lenoir a d’abord instruit — documents datés et référencés à l’appui — « le procès » du dévoiement de la radioprotection. Dès son application à des usages médicaux, puis militaires et ensuite industriels (production d’électricité notamment), la dangerosité de la radioactivité a d’emblée été — sciemment — sous-évaluée, notamment par des instances spécialisées de l’Organisation des Nations unies (ONU) : l’UNSCEAR [2] d’une part et l’OMS [ibid] d’autre part. Cette dernière adoptera un surprenant positionnement complètement à contre-emploi de sa mission de protéger l’humanité contre les conséquences radiologiques qu’elle a inlassablement minorées et a conduit in fine à en promouvoir la technologie. Idem, la CIPR [ibid], ou encore l’AIEA [ibid], elle aussi agence de l’ONU, bien qu’ici dans sa pernicieuse fonction de promotion de l’atome civil. Avec, bien entendu, l’invraisemblable connivence des pays qui ont historiquement misé sur l’atome ou qui l’ambitionnaient. Pour beaucoup, un truchement pour accéder à l’arme atomique.

Conséquemment, l’accident de Tchernobyl venu, l’ampleur de la catastrophe, l’importance des effectifs — sous équipés — mobilisés, l’impact sanitaire sur les liquidateurs, la population et les enfants en particulier, leurs descendants, le vivant, vont être brouillés. Sans scrupule, les autorités vont même incriminer les modes de vie inapropriés de la population, voire sa radiophobie vectrice de pathologies psycho-somatiques. Comme tous les précédents accidents nucléaires d’envergure (Kychtym [URSS, sept. 1957] ; Windscale-Sellafield [GB, oct. 1957]…) celui de Tchernobyl a d’abord été nié par les autorités soviétiques et son bilan outrageusement minoré par les instances internationales et les États, sous couvert de  risque de panique et surtout ne pas jeter l’opprobre sur une filière en pleine expansion et les essais nucléaires [1] toujours pratiqués à l’époque.

Contre toute attente, en 2006 (après vingt ans de recul), sans craindre le ridicule, l’OMS révélera son bilan définitif : 50 morts et 4 000 cancers « à venir » (de la thyroïde notamment, sans morbidité formelle) quand des chercheurs, historiens, ONG (Greenpeace), instituts, organismes, en comptabilisent de 200 000 à 400 000, voire 800 000 (cf. notamment l’historienne Kate Brown dans son ouvrage Tchernobyl par la preuve — Vivre avec le désastre et après, l’étude de l’Académie des sciences de New York, voire l’enquête de l’autrice biélorusse Svetlana Alexievitch, La supplication (autres ressources, paragraphe ci-dessous).

Petite idée des dégâts humains : 179 046 liquidateurs ukrainiens sont morts entre 1997 et 2006. À cette dernière date, 106 824 sont invalides. En 1997, ils étaient 482 141 liquidateurs encore vivants. Ces données ont été collectées par une association de défense créée par les liquidateurs ukrainiens. Environ 800 000 liquidateurs ont été envoyés de toute l’ex-URSS. Exemple : 644 d’entre-eux venaient de la République de Karélie (au nord de Saint-Petersbourg) ; leur âge moyen lors du décès était de 43 ans.

Occultés les innombrables naissances de malformés, la mortalité foetale, néonatale et infantile, les avortements préventifs massifs… formellement identifiés par les courbes démographiques, la longévité obérée des enfants nés à cette époque (aujourd’hui adultes). À l’hôpital central de Stalin (à 250 km de Tchernobyl), le taux de morbidité pour 1 000 enfants passe de 350 en 1986 à 1 500 en 2018, soit plus d’une maladie par an et par enfant.

De même, les effets différés de la radioactivité et la spécificité des faibles doses accumulées ont été délibérément négligées. Ceci en l’absence de recul, de recherches scientifiques formelles, quand on ne leur a pas prêté d’époustouflants bienfaits en abusant les profanes sans aucun scrupule.

Nous pouvons en déduire qu’autant quelles sont, les autorités, les instances et l’OMS en particulier — nucléophiles avérées — ont parti et avantage liés à la perpétration de l’atome, quoi qu’il en coûte pour le vivant, les humains, les finances des systèmes de santé…

Interventions et échanges

Désolé, nous ne retiendrons arbitrairement qu’un témoignage et une intervention.

— L’expérience d’une femme regrettant l’absence d’un suivi radiologique des patient·e·s soumis·e·s à une multitude d’examens radiologiques.

— La seconde portait sur la pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau à la période de l’accident et sa permanence. Selon Yves Lenoir, les nappes sont à 50-60 m de profondeur. Le césium 137 s’enfonce dans le sol à une vitesse de 1 cm par an. Il n’est donc pas près d’atteindre les nappes phréatiques. Dans les forêts, où les racines s’enfoncent profondément dans le sol, celles-ci pompent le Cs137 qui se retrouve dans les feuilles, puis dans l’humus, et le cycle recommence. La contamination des fruits, des champignons et de la faune des forêts est très importante. La population (notamment défavorisée) s’en nourrit (baies, champignons, gibier). Les nombreux incendies remettent également en suspension toute cette contamination et les vents se chargent de contaminer d’autres zones.

Pour aller plus loin

Site internet de l’Institut Enfants de Tchernobyl Belarus, c’est là : .

La comédie atomique – L’histoire occultée des dangers des radiations, d’Yves Lenoir, Éd. La Découverte (2016), 22 €, sur nos stands ou dans les bonnes librairies.

L’OMS et les dégâts des radiations (1946-2006), Yves Lenoir, Éd. Les produits du jardin/ETB Belrad, 64 p., livret édité en soutien à ETB (Enfants-Tchernobyl-Belarus), 10 €.

Tchernobyl par la preuve – Vivre avec le désastre et après, de Kate Brown, Éd. Actes Sud,  25 € + port, à la boutique du Réseau, ici : .

La Supplication – Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, de Svetlana Alexievitch, 250 p., Éd. Livre de poche, 1997, 7,60 € + port, à la boutique du Réseau, ici : .

Dessins d’enfants du Belarus, 20 € l’unité, Institut ETB (supra).

La maison de Dieu, poèmes illustrés par Catherine Lieber, 15 €, Institut ETB (supra).

Institut Belrad, 5 €, Institut ETB (supra).

Le crime de TchernobylLe goulag nucléaire, Wladimir Tchertkoff, 719 p., 28 € (prix indicatif).


Notes

[1] On remercie évidemment cette librairie mancelle qui a également accueilli  l’exposition de dessins réalisés en 2016 (30 ans après) par des enfants Bélarusses sur la tragédie nucléaire de Tchernobyl du 24 mars au 10 mai 2025 (plus que prévu), c’est là : .

[2] UNSCEAR : Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants. OMS : Organisation mondiale de la santé. CIPR : Commission internationale de protection radiologique. AIEA : Agence internationale de l’énergie atomique.

[3] Sur ce sujet, le lundi 20 octobre, au cinéma Le Kid, à La Flèche, et le mardi 21 octobre, aux Cinéastes, au Mans, Sortir du nucléaire 72 proposera le film « Retombées silencieuses (Silent fallout) – Mon corps est la preuve », en présence de son réalisateur Hideaki Ito.


Photo : SdN 72. Dessins (« Tchernobyl-boquet » et « vérité ») de Dominique Legeard, plus connu sous son pseudonyme de Lidwine, qui s’est éteint le 1er mai 2025. Notre site (et le mouvement en général), a emprunté beaucoup de ses dessins d’une richesse inouïe. Qu’il en soit posthumément remercié. Dessin (« 39 ans Tchernobyl ») © de P. Chappatte publié avec son aimable autorisation, nous l’en remercions, voir son site, c’est ici : et/ou là : www.chappatte.com.