Centrale solaire de Rouez : un nouveau filon — vertueux — pour Total ?


Août 2020  –  Rouez ou Rouez-en-Champagne

Laquelle des deux centrales photovoltaïques au sol de Rouez-en-Champagne [1] et de Vaas sera la quatrième unité de production solaire conséquente de la Sarthe ? Nous n’avons pas la réponse mais le… champagne semble pouvoir d’abord être sabré à Rouez.

Les EnR se hâtent lentement, surtout en Sarthe, mais leurs coûts ont vertigineusement baissé et concurrencent désormais haut la main celui du nucléaire et sa kyrielle d’avanies masquées à venir : état de faillite d’EDF, coût du grand carénage, malfaçons, indemnisations iniques d’arrêt de réacteurs, renouvellement (qu’on n’imagine évidemment pas) du parc, démantèlements, perte de compétences, R&D oiseux (Iter…), nécessaire protection des piscines, déchets [2], etc. Sortons urgemment du nucléaire — avant le naufrage économique et/ou l’irréversible. Si son remplacement est en cours, il faut encore accélérer, et pour l’avènement des énergies de flux, et pour l’abandon des énergies de stock ainsi que du nucléaire militaire. 

Trois stores vénitiens photovoltaïques tirés sur l’ex-mine d’or

Cette nouvelle ferme solaire est sise sur l’ancienne mine de fer, puis d’or et d’argent, de Rouez (cf. encadré). Son sous-sol très dégradé empêche son retour à un usage agricole avant longtemps. D’abord imaginée sur l’ensemble des 27 ha de la concession avec comblement des lacs et bassins, puis sur 7 ha, au final, la centrale solaire retenue et désormais installée ne recouvre plus que le dixième de la surface du site. Un site profondément chamboulé par l’exploitation minière et désormais surmonté d’un terril de minerai techniquement géostabilisé, d’une levée de stériles, creusé de deux lacs (deux miroirs d’eau d’apparence limpides mais où, cependant, on ne vous conseille surtout pas d’y plonger vos orteils), une lagune… Hors tout, la surface photovoltaïque se superpose essentiellement à la prairie de fauche. Les fâcheux, nombreux, s’étranglent du fait qu’elle déploie fort opportunément son store vénitien de silicium en masquant l’impéritie écologique passée de l’exploitant : Total !

La centrale est surtout visible au nord de la RD 167 (route de l’Abbaye). Sur cet axe, le parc est divisé en deux dans sa partie haute : à l’ouest, par le chemin privé de la Goupillière, à l’est, par le chemin rural n° 6 dit de Chantepie, où elle se dérobe souvent aux regards. Au final, les capteurs sont regroupés en trois grandes zones : une en partie haute et deux en dévalaison de la pente naturelle (cf. infographie).

De l’or au soleil

L’irradiation (l’ensoleillement) annuelle du site ayant été évaluée à 1 197 Wh/m², la puissance estimée de cette centrale devrait culminer à 4,5 MWc (MégaWatts/crête) et produire annuellement environ 6 391 915 kWh. Grosso modo, l’équivalent de la consommation domestique annuelle moyenne de 2 800 habitant·e·s, chauffage et eau chaude compris.

Désolé, on ne les a pas comptés (l’accès n’est pas autorisé au public et nous n’avons pas de carte de presse), mais,  selon le promoteur, la centrale comptabilise 125 trackers (structures métalliques articulées de marque Oasis), eux-mêmes constitués de 90 modules photovoltaïques de type silicium cristallin [3]. Soit 11 250 modules de puissance unitaire de 435 W. La surface mobilisée est de 24 722 m² [4]. Chacune des structures mesure 47,60 m de long pour une hauteur moyenne de 4,10 m par rapport au sol, selon leur inclinaison, évidemment, puisqu’elles s’orientent au gré de la course du soleil (voire pour leur entretien, tempête, grêle…) par rotation horizontale de – 60° à + 60°. Un choix technique qui génère forcément un surcoût mais qui engrange normalement une production annuelle supérieure de 25 % à une installation de panneaux fixes.

Pour restituer le courant au réseau public géré ici par Enedis (RTE assure le transport de l’électricité sur les lignes à haute et à très haute tension), la centrale est complétée de deux postes techniques de conversion équipés d’onduleurs, de transformateurs, de parafoudre, etc., et un poste de livraison [5]. Ici, la production électrique s’exporte via la liaison à la ligne moyenne tension existante le long de la RD 167 (cf. plan).

L’ancrage au sol a été réalisé par pieux battus (jusqu’à 4 m) mais le prestataire a dû néanmoins respecter et à défaut rétablir les mesures de réhabilitation du sol (cf. encadré). Idem pour les dégâts éventuels causés par les engins de chantier qui devaient à la fois respecter un calendrier et un protocole, sinon réparer. Les anciennes pistes de circulation pour le montage, la maintenance, les secours (SDIS) ont seulement été renforcées. Une partie du câblage électrique a été enfouie le long de ces pistes, l’autre court sur des chemins de câblage à quelques centimètres du sol pour limiter les excavations en mort-terrain.

Le projet évite (de peu) la Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF de type 2). Idem, la zone classée Natura 2000. Cependant, des préconisations concernant le terrain, la faune, la flore, qu’il serait trop long à reprendre ici, appellent le contrôle et la vigilance de tous pour imposer leurs prises en compte effectives.

Retenons en mémoire qu’outre ce nouveau champ photovoltaïque qui mobilise pour lui seul des recommandations particulières, l’ancien site minier demeure gravement pollué et recensé pour cela au Basol (Base de données des sols pollués de l’État) et doit rester, et pour longtemps encore, sous observation du propriétaire-exploitant et du contrôle de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL, autorité publique compétente). Tardivement, les lourdes barrières de la mine se sont ouvertes à un soupçon de transparence. Depuis 2016, les représentants des sociétés impliquées, l’administration, des collectivités, des élus locaux et les associations environnementalistes locales et départementale [6] se retrouvent dans un Comité de suivi du site (CSS) pour faire le point et débattre des actions à mener (cf. encadré).

Nerf de la guerre

Le montant de l’installation s’élève à environ 5 millions d’euros. Il sera financé par la dette à 80 % et 20 % seulement seront financés sur fonds propres. Soit 4 millions de dette bancaire et 1 million sur fonds propres. Le capital a aussi été — marginalement — ouvert au financement participatif pour les collectivités locales et les particuliers des départements périphériques de la Sarthe avec un plafond de 170 000 euros via la plateforme Lendopolis. Élargir l’investissement  aux particuliers peut faire sens, mais — au bout du bout — ne fait que conforter  une « différenciation économique  » sans aucunement résoudre la fracture sociale. Nous y préférons les projets coopératifs totalement citoyens, qui n’échappent pourtant pas à cette même critique.

Ce projet a été lauréat à l’appel d’offres après son passage à la CRE, Commission de la régulation d’énergie (prérequis : une production supérieure à 250 kW/h et une surface minimale de 550 m²). À ce titre, il a obtenu un contrat de complément de rémunération sur l’électricité produite pour une durée de vingt ans avec EDF. En 2017, le prix moyen a été fixé à 0,0616 €/kWh pour les installations inférieures à 5 MWc, plus un bonus de 0,003 €/kWh pour les projets utilisant un financement participatif (infra).

À ce jour, nous ne connaissons pas les retours financiers annuels prévus pour Rouez et la Comcom de la Champagne conlinoise et du pays de Sillé (2CPS) en terme de contribution économique territoriale (CET1) et d’impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER2, qui remplace la taxe professionnelle). Nous compléterons ici si l’information nous parvient.

Le millefeuille Total

On le voit (supra et encadré), Total, au travers de ses multiplies filiales, aime à brouiller les cartes. Après avoir absorbé Elf Aquitaine, elle n’a assumé que tardivement et partiellement la gestion des pollutions du site minier. Pas sa dépollution ! La réhabilitation de la concession opérée par RETIA (rejeton de T…) s’apparente plus à des mesures de thanatopraxie qu’à un traitement de fond. Tenesol (filiale de T…), pétitionnaire originel de cette centrale photovoltaïque, a vite été éclipsé par Sunpower, filiale de T… depuis 2011. Société phare du panneau PV, elle a pourtant licencié 1 200 salariés et fermé une usine aux Philippines. Sa fiabilité et son assujettissement interrogent forcément. C’est encore la société CS SPW2, autre déclinaison de T… créée en 2017, qui a candidaté pour l’appel d’offres (groupé) devant la CRE et collecte les financements participatifs (supra). Probablement, l’emboîtement style matriochkas (poupées gigognes) est-il encore plus complexe (le site de Total reconnait d’ailleurs 903 filiales [?] consolidées) ! Au total (!), le continuum économico-industriel reste opaque pour le commun des mortels et,  nous allons le voir, à l’international, totalement en dehors des clous de l’accord de Paris que Total se fixerait soi-disant d’observer ! Confère le rapport récent du groupe de réflexion IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis) publié le jeudi 23 juillet 2020. Selon l’étude, les géants de l’énergie, Total et Shell, continuent à réaliser 90 % de leurs investissements dans les énergies fossiles malgré leurs promesses de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais le défaut éthique du groupe ne s’arrête pas là. Total est aussi le champion de l’optimisation fiscale, paie peu — voire pas — d’impôts sur les sociétés en France, redistribue beaucoup de dividendes, voire flirte avec les paradis fiscaux et s’accommode des pires régimes…

Chacune à leur tour et/ou solidairement, les associations environnementales (note 6) se sont vivement inquiétées de la dilution des responsabilités et de la solidité économique des dites sociétés. Aussi de la solidarité financière de la holding Total. Nous ne pouvons que vous diriger vers les réserves qu’elles ont soumises au commissaire enquêteur et au préfet, et partant, à votre opinion, c’est là : .

À notre corps défendant (ou pas), nous associons forcément ce très ambivalent cas de figure — partagé entre « standard de référence » et écoblanchiment — au dernier documentaire d’Eric Scotto produit par Michael Moore, Planet of the Humans. Confirmant, hélas, que pour ces (certains ?) industriels, les EnR, ici le photovoltaïque, ne sont guère qu’une autre opportunité de profit et/ou un bon moyen de verdir leurs business plan.

Patrimoine·s

À une encâblure, l’abbaye cistercienne de Champagne (XIIe siècle, inscrite mais pas classée aux Monuments historiques), où François Fillon avait ses habitudes. Nucléocrate invétéré (civil comme militaire) et très frileux sur les EnR, il y avait inauguré ses rendez-vous annuels en 2013 et lancé sa candidature de campagne. Située à 1,8 km du site, la proximité de l’abbaye n’a pas posé de problème de covisibilité (la mine non plus…), un grief souvent retenu pour ostraciser un projet de production d’énergie renouvelable. Non plus les deux monuments historiques les plus proches (le château de Courmenant est à 2,6 km, celui de Sourches à 5,75 km). On ne vous parle pas de la « ferme voisine » de Saint-Symphorien ? Station expérimentale de l’entreprise d’alimentation animale Sanders dite centre Euronutrition, filiale du groupe agroalimentaire Avril (Matines, Lesieur, Puget…) qui mène des expériences sur des vaches fistulées, canulées (à hublot !) visant, entre autres, à diminuer la production de gaz à effet de serre (on y revient) en réduisant la méthanogenèse bovine (la manif du 29 juin 2019, c’est là : ). À vous rendre rouge pivoine (le centre et le château conservatoire de… sont totalement indépendants) ! Non ! On ne vous en a pas parlé.


[1] Rouez — seul (selon le code INSEE des communes et le Code officiel géographique) — est également nommée Rouez-en-Champagne, comme de rares panneaux d’entrée de ville en témoignent.

[2] Cette année est le vingtième anniversaire de la victoire des Mayennais·e·s et Sarthois·e·s (du nord-ouest) contre le site d’enfouissement de déchets radioactifs dans le granite à Izé, dans les flancs du mont Rochard (à côté de Bais, à 14 km de Sillé-le-Guillaume, 52 du Mans (45 à vol d’oiseau)

[3] Cette fois, le promoteur renseigne le type de ses panneaux. Pas anodin parce qu’ils ne sont pas tous irréprochables… Ceux-ci sont en silicium cristallin (cellule photovoltaïque Maxeon de Sunpower) extrait du sable et du quartz et sont 100% recyclables mais contiennent néanmoins un soupçon d’argent. On pourra dire… qu’ici la boucle est bouclée puisque la mine en a produit.

[4] D’abord envisagée sur l’ensemble du site (hors lacs et bassins), très vite, les contraintes techniques et financières l’ont reconsidérée à 7 ha et finalisée à « seulement » 2,47 ha. Explications : le terrain est naturellement en pente, les deux sites d’extraction ont progressivement été remplis par les eaux pluviales, souterraines et de drainage, le dôme de stériles accidenté doit aussi rester stable et imperméable, les accès et chemins de secours ont été maintenus et confortés, des équipements nouveaux construits (deux postes techniques [comprenant onduleurs et transformateurs], et un de liaison [interface entre la centrale et le poste source d’Enedis] plus un de maintenance-entretien (ancien bâtiment existant).

[5] L’onduleur convertit l’électricité produite en continu en courant alternatif compatible avec le réseau. Un transformateur élève la tension avant l’injection de l’électricité par câble jusqu’au réseau public.

[6] Deux associations locales : Rouez Environnement, c’est ici : , le Collectif pour la sauvegarde de la Charnie, c’est là : , ce dernier collectif est adhérent de Sarthe Nature Environnement, qui est intervenu et intervient toujours sur ce dossier, c’est encore là : .

[7] La France a compté jusqu’a 210 mines d’uranium (les plus proche se trouvent en Loire-Atlantique, Vendée, Bretagne, Haute-Vienne…), exploitées essentiellement par le CEA puis la Cogema à partir de 1976. La dernière, à Jouac (87), a fermé en 2001. Elles sont aujourd’hui sous responsabilité d’Orano Cycle mais restent radioactives, mal sécurisées, mal entretenues et guère surveillées. Elles ont laissé au bas mot 166 millions de tonnes de stériles radioactifs ! Depuis, le pays s’approvisionne principalement au Niger, au Canada, au Kazakhstan et en Australie. 

D’une mine l’autre, les frontières sont poreuses ! On retrouve P….. G….., qui occupait le poste d’ingénieur de production et responsable MCO (maintien en condition opérationnelle) à la mine d’or de Rouez de juillet 1990 à juin 1992 sur de nombreux théâtres anthropisés, mines d’or, d’uranium, centrales nucléaires de Bugey, Cattenom, Chinon, usine AZF, etc.

[8] Fort de ce qu’à Rouez une tonne de minerai ne contenait qu’à peine deux grammes d’or quand une tonne de nos portables en concentrerait cent cinquante, le Collectif Charnie… a souvent mis en avant la priorité au recyclage des 80 millions de téléphones portables oubliés dans les tiroirs des Français·e·s.


Crédit photos : SdN 72 (photo de droite, en haut à gauche, on aperçoit le « Parc Éole – Champagne conlinoise » (cinq éoliennes), et plus effacé, sur la droite, celui de la Plaine conlinoise (deux éoliennes). Infographie  (approximative) : SdN 72. Photo de la mine :  capturée sur la Lettre de la Coccinelle, n° 66, de SNE. Cliquer sur les documents pour les agrandir.