Frédéric Beauchef, sous-marinier d’un jour, possiblement victime d’une narcose ?


Dimanche13 avril 2025 – Sarthe…

Le 9 mars 2025, Frédéric Beauchef [1] révélait aux lecteurs du Maine libre — dans une interview totalement dépourvue de sens critique (c’est, là : ) —, son « extraordinaire chance » (et honneur) d’avoir pu embarquer sur Le Téméraire, sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE [2]), via l’entregent du président du conseil départemental, Dominique Le Mèner.

Tels les plongeurs en eaux profondes, aurait-il été victime d’une ivresse des profondeurs [3] ?

StravaLeaks

Dans sa narration au Maine libre, en écho à l’actualité, F. Beauchef cherche à nous convaincre que toutes les mesures de sécurité appropriées étaient observées : « On monte à bord de l’hélicoptère (qui va l’hélitreuiller sur le SNLE) sans téléphone, sans tablette, sans montre, sans appareil photo. » Décodons !

À la mi-janvier de cette année, le quotidien du soir Le Monde avait révélé qu’il avait « tracé » (sur une dizaine d’années) les déplacements à terre des sous-mariniers pratiquant le jogging via l’application Strava [4] permettant d’identifier les retours et, partant, les arrivées et départs des submersibles nucléaires basés à l’Île-Longue. D’autres avancent même qu’un élémentaire relevé du volume des rendez-vous chez les coiffeurs brestois des marins soucieux de leur apparence aux yeux de leur famille renseignerait sur le rythme de la relève des équipages rouge et bleu [5] des SNLE ! Il ressort que l’activité sportive des marins et/ou leur coquetterie peut permettre de deviner aisément les départs en patrouille de la composante navale des forces nucléaires stratégiques. Autant dire, là, que « la permanence » à la mer de la dissuasion nucléaire française a longtemps été largement éventée !

En mars 2022 (peu de temps après l’Opération spéciale de Poutine, un second sous-marin nucléaire (information officielle différée) avait rejoint les abysses, voire même un troisième (selon radio France, c’est là : ). Par mesure de sauvegarde, en général, un seul assure incognito la permanence à la mer de la dissuasion.  Pour les trois autres, un est à quai, un en carénage, un en maintenance (et sont donc vulnérables à une attaque). Une analyse juste un peu plus fine aura évidemment permis à l’état-major russe et au potentarque Poutine (ex-agent du KGB) de conclure à la mise en service d’un second (sinon un troisième) bâtiment SNLE avant même que la France décide de le rendre publique.

Le pompon !

Frédéric Beauchef ne dit rien ni ne semble s’interroger sur la fantastique pression, la responsabilité et l’incommensurable charge mentale de ces commandants de SNLE et de leur équipage (rouge ou bleu) chargés « d’appuyer sur le bouton » fatidique si l’ordre leur en est donné par — l’unique — personne à pouvoir précipitamment en décider : le président de la République, chef des armées, officiellement le seul à détenir les codes d’armement stratégique (même si, bien sûr, il est entouré de conseillers), mais dans un temps très contraint : une dizaine de minutes.

Fort heureusement lors de la crise de Cuba, le discernement de l’officier de marine soviétique, Vassili A. Arkhipov, nous avait  « miraculeusement » préservé du pire [6] ! En sera-t-il toujours de même ? Il n’est pas définitivement dit que l’histoire ne repasse pas les plats. S’ils devaient repasser, ils pourraient avoir un goût amer !

Dans ses mémoires, V. Giscard d’Estaing lui-même, pro-nucléaire civil et militaire (ou opportuniste) convaincu, a confessé qu’il n’aurait jamais pris « l’initiative d’un geste qui conduirait à l’anéantissement de la France ». 

Le pacha du SNLE Le Téméraire

Louable précaution et belle intention, dans l’article, F. Beauchef (le journaliste et la rédaction du Maine libre itou) tait le patronyme du pacha du Téméraire, mais glisse néanmoins qu’il est sarthois et se prénomme Pierre. Dans un précédant article, nous avions laissé l’ex-élève du Vieux-Colombier, au Mans, commandant du sous-marin nucléaire d’attaque Le Rubis (et aussi de l’Amethyste apprenons-nous aujourd’hui), c’est ici : ▶. Idem, dans un second article, avec un autre Sarthois au même poste, c’est là (cf. encadré) : . Depuis (comme quoi l’ascenseur social fonctionne encore pour quelques cas), Pierre Leroy, puisqu’il s’agit de lui, est devenu second du Téméraire, comme il en témoigne lui-même ostensiblement sur le site du Club des ambassadeurs de la Sarthe (en mars 2023), c’est là : . Par définition discrète, la « Grande Muette » est décidément devenue bien bavarde !

Les SNLE Le Triomphant (France) et le Vanguard (Grande-Bretagne) entrent en collision

Aussi mirifiques qu’ils soient, n’en déplaise à F. Beauchef, ces monstres high tech n’en sont pas moins faillibles ! Dans la nuit du 3 au 4 février 2009, alors qu’ils sont tous les deux en immersion, le SNLE (supra) Le Triomphant de la Marine nationale française (de retour de patrouille) et le SNLE HMS Vanguard de la Royal Navy britannique (en patrouille de routine) entrent en collision sur leurs flancs, à l’est de l’océan Atlantique. Les sonars passifs et actifs, les « oreilles d’or » (méthode de détection acoustique) des « rosbifs » comme des « frogs » n’ont rien entendu du «  chant du loup »… Le premier compte d’ordinaire 111 membres d’équipage, il embarque 16 missiles balistiques M45 et jusqu’à 48 ogives. Le second compte 135 membres d’équipage, embarque lui aussi 16 missiles balistiques Trident et jusqu’à 48 ogives. Il ne peut y avoir cocktail plus explosif ! Aussi, des deux cotés de la Manche, tout va être fait pour nier, masquer et minimiser l’accident pourtant bien visible sur les deux coques des submersibles nucléaires, il faut le rappeler. Les éléments de langage sensés rassurer vont abonder : collision avec un conteneur, vitesses réduites… et surtout, surtout, pas de blessé ni de fuites radioactives.

La vie des submersibles nucléaires (ou pas) n’est pas une morne mer tranquille !

Quelques cas d’espèce étrangers

 Le 10 avril 1963, le sous-marin nucléaire Thresher, le plus rapide de la force étasunienne de l’époque, avait sombré en Atlantique avec ses 129 hommes d’équipage et son réacteur nucléaire qui reposent par 2 500 m de fond (sans charge nucléaire semble-t-il).

 De type SNA (chaudières nucléaires, armement non-nucléaire) lUSS Scorpion coule le 22 mai 1968 au sud-ouest des Açores, sans que les causes en soient vraiment élucidées, avec 99 hommes à bord.

 Alors qu’ils croise en Atlantique, un feu se déclare à bord du sous-marin nucléaire soviétique K 8. Il refait surface, évacue ses marins, puis, en rembarque une partie pour une opération de remorquage, par forte houle. Il sombre finalement le 11 avril 1970. Les 52 hommes d’équipage, les deux réacteurs et quatre torpilles nucléaires reposent toujours par 4.500 mètres de fond dans le golfe de Gascogne, à 490 km au N-O de l’Espagne et à 1.450 kilomètres à l’ouest de Brest.

 Le 12 août 2000, le premier exercice naval de grande ampleur depuis la chute du bloc soviétique sensé « rappeler au monde que la Russie est une force incontournable sur les océans de la planète » selon les mots du nouveau président russe, Vladimir Poutine (tout était donc déjà dit !) tourne au vinaigre ! Le Koursk, sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière russe (un des plus perfectionnés de la marine soviétique) subit une première explosion, puis une seconde beaucoup plus puissante et sombre en mer de Barents. 118 membres de l’équipage y laissent leur peau. La gestion du sauvetage s’avérera désastreuse, la communication opaque, l’aide internationale déclinée. Reposant par 108 m de fond, Il sera en partie renfloué quatorze mois après son naufrage. Les 22 missiles Granit en seront extraits.

 Le 8 novembre 2008, l’inhalation de gaz fréon émis par le déclenchement du système anti-incendie dans une partie du sous-marin d’attaque (SNA) russe à propulsion nucléaire Nerpa a entraîné la mort de 20 des 208 personnes présentes dans le submersible, pendant des essais en mer du Japon.

Quelques cas d’espèce de la flotte française

Nous avons traité plus haut de cet exceptionnel cas de figure d’accrochage entre deux SNLELe Triomphant (France) et The Vanguard (Grande Bretagne), du 3 au 4 février 2009. Merci de vous y reporter.

 Lors d’un chantier d’entretien, le sous-marin à propulsion nucléaire français SNA Perle (sous-marin nucléaire d’attaque mais sans armes nucléaire), entré en service en 1993, a été ravagé par un violent incendie en juillet 2020 (l‘arrière du Perle a finalement été soudé à l’avant du sous-marin de la même classe, le Saphir, désarmé en 2019).

 Le submersible français (non-nucléaire) La Minerve avait coulé et implosé le 27 janvier 1968 au large de Toulon.

 Guère plus de deux ans après, l’Eurydice (au diesel également) sombre corps et biens au large du cap Camarat (au sud de la presqu’île de Saint-Tropez) le 4 mars 1970, avec ses 57 hommes.

 Nul doute qu’on saura un jour ou l’autre la vérité sur la disparition en « 37 secondes » (titre de la série diffusée les 3 et 10 avril 2025 sur Arte) du chalutier de Loctudy Bugaled Breizh (Enfants de Bretagne) en Manche, le 15 janvier 2004. Mais quand ? Les scenarios les plus invraisemblables ayant entraînés la mort des cinq marins ont été envisagés. L’hypothèse de son éperonnage par un sous-marin participant à un exercice multinational de l’Otan en cours sur la zone reste pourtant, et pour beaucoup, la plus vraissemblable. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage…

Pour aller plus loin

Puisqu’on vous dit que ces engins veillent sur votre sécurité ! Le site Wikipedia répertorie pas moins de huit de ses sous-marins nucléaires passés par le fond (c’est là : ) avec leurs chaudières nucléaires et parfois avec leurs charges nucléaires. Des vies humaines et des fortunes englouties en pure déraison ! Le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) s’impose normalement à toutes ses nations — dotées — qui se tiennent par la barbichette et nous atterrent toutes et tous. Un des articles du TIAN interdit aussi la menace de leur emploi. Il est temps que les 122 pays qui l’on voté aux Nations Unies mettent les intrigants aux bancs des accusés !

Oui ! Frédéric Beauchef peut le dire : « J’ai eu [il a eu] une chance extraordinaire. » La vraie chance pour l’humanité serait de mettre en oeuvre l’abandon des armes de destruction massive ! Des réacteurs, usine de retraitement, piscines de refroidissement, centres de stockage des déchets, très vulnérables. Et pas que.


Notes

[1] Maire de Mamers, président de la communauté de communes Maine Saosnois, co-délégué départemental du canton de Mamers, vice-président du conseil départemental de la Sarthe, juriste et… passionné de l’histoire des armées.

[2] SNLE-NG (nouvelle génération) de l’ancienne gamme Le Redoutable (qui en comprenait six). Ils sont au nombre de quatre : Le Triomphant, Le Téméraire, Le Vigilant et Le Terrible. Chacun embarque l’armement nucléaire de dissuasion de la force océanique composé de seize missiles mer-sol, balistiques stratégiques de type M51, dotés chacun de six têtes thermonucléaires ayant une puissance chacune de 100 kilotonnes (environ six fois celle de la bombe d’Hiroshima). Soit une puissance totale cinq cents fois supérieure à la bombe d’Hiroshima.

[3] Employée dans notre titre, la narcose (excès d’azote qui agit sur le système nerveux) est plus connue sous la dénomination d’« ivresse des profondeurs » provoque des troubles psychiques et comportementaux.

[4] Strava, application GPS de suivi de running (parcours, performances, etc., partagés en ligne), l’article du journal Le Monde est ici : . En octobre 2024, Le Monde toujours avait déjà pu retracer des déplacements de membres des services de sécurité de plusieurs chefs d’État, c’est là : .

[5] Quand un équipage est à terre (au repos), le second est en activité sous mer.

[6] En pleine crise des missiles soviétiques à Cuba, les USA organisent le blocus de l’île. Ils détectent un des cinq sous-marins, le B-59 (propulsion au diesel mais équipé d’une torpille T-5 à tête nucléaire d’une puissance des deux tiers de celle d’Hiroshima), dépêchés par l’URSS. Cernés et sous le feu pour l’obliger à faire surface, deux des trois décideurs enclenchent une riposte sur l’USS Randolph. Transgressant tous les protocoles, seul, Vassili Arkhipov refuse de rentrer sa clé de tir dans la console enrayant l’inévitable escalade.


Illustrations : de Cabu (Charlie Hebdo, Le Canard enchainé…) illustrant ici un aviateur de la force nucléaire aéroportée mais qui pourrait l’être tout autant d’un commandant de la force nucléaire océanique. et SdN 72 (J-L B).