11/3/11


11 mars 2023 — France, Fukushima, Monde

Le 11-3-11 vous dit t-il encore quelque chose ? Vous y êtes ? Le samedi 11 mars 2023 est le douzième fâcheux « anniversaire » de la triple catastrophe de Fukushima : un tremblement de terre, un tsunami (ravageur en vies perdues : plus de 18 000 victimes) et aussi le triple accident nucléaire de Fukushima Daïchi. La catastrophe dans la catastrophe ! L’anéantissement des circuits de refroidissement provoque la fusion partielle du coeur de chacun des réacteurs 1, 2 et 3, l’explosion des trois bâtiments due à la concentration d’hydrogène, la surchauffe et une forte inquiétude sur la capacité de résistance de la piscine de désactivation du réacteur 4.

Douze ans après, la permanence de la contamination post-accidentelle des territoires et de leurs habitants perdure. Là, le véritable bilan reste en suspens et le restera encore longtemps tant les effets délétères sur la  santé sont et seront étalés sur des décennies. Pour peu qu’un bilan — honnête — soit jamais établi !

Qu’apprenons-nous de nos erreurs ?

Passé Tchernobyl (le 26/4/1986), quelques pays vont abandonner le nucléaire : l’Autriche notamment. La centrale pourtant achevée de Zwentendorf ne sera même jamais mise en service. L’Italie aussi. En novembre 1987, le référendum abrogatif décide l’arrêt programmé de quatre centrales dont la dernière fermera en 1990. Flambant neuf, le réacteur de Montalto di Castro, lui non plus, ne sera pas mis en service [1]. Pour les autres, Tchernobyl ne sera qu’une coupable incompétence soviétique aux capacités technologiques d’un autre âge. Puis ce sera Fukushima, un séisme hors norme, des vagues monstrueuses, XXL, des « mâchoires » propres à faire monter l’adrénaline chez les surfeurs de gros à Nazaré, Belharra… Pourtant, là, la technologie nippone est réputée fiable, irréprochable, invulnérable aux  coups de boutoirs de l’océan. Le coup de trop et du sort pour les nucléocrates… L’Allemagne renonce à son tour [2]. L’empire du Levant, lui, accuse le coup, fonctionne un temps sans nucléaire, redémarre quelques centrales mais la Diète compte bien in fine remettre le couvert.

Malgré ces alertes et bien d’autres, dont certaines sur son territoire [3], la France persévère et s’enlise. Elle produit péniblement un EPR en Finlande qui dysfonctionne et qu’il faut indemniser pour son retard, un en France au démarrage régulièrement ajourné et dont on connaît les nombreuses anomalies, deux à Taishan en Chine et deux autres en construction en Grande-Bretagne et des pénalités de retard à venir qu’il faudra payer là encore. Les déconvenues abondent : retards, malfaçons, caviardage des rapports qualité à l’usine Areva Creusot Forges, coûts explosés, problèmes de financement et d’indemnisation (supra), inadaptation à l’urgence climatique, priorisation qui fait défaut aux EnR, pertes de compétences, précarisation des emplois via la sous-traitance et le « nomadisme », EDF en quasi faillite… 

Le parc existant vieillit, craquelle de partout : fissures des enceintes, fissures (corrosion sous contrainte) des RIS (circuits d’injection de sécurité), nouvelles fissures de « fatigue thermique » sur des lignes du réacteur n°2 de Penly et du réacteur n°3 de Cattenom, retard dans la mise aux « normes » Fukushima (grand carénage) de certains réacteurs, etc. Le climat s’en mêle, l’eau de refroidissement, notamment des cours d’eau l’été, fait défaut et/ou s’échauffe induisant des réductions, voire des arrêts de production quand ce n’est pas l’administration elle même qui délivre des dérogations aux normes environnementales autorisant le dépassement des plafonds précédemment retenus en même temps que les rejets chimiques et de radioéléments autorisés (théoriquement réglementés) déversés dans cette ressource vitale à absolument sauvegarder, et dans l’atmosphère. Des rejets qui interrogent et inquiètent de plus en plus les usagers-consommateurs pour leur santé et l’avenir de nos communs. Au Levant, le Japon s’apprête, lui, à « libérer » 1,37 million de tonnes d’eau contaminée (eaux de refroidissements des réacteurs stockée depuis l’accident) dans l’océan Pacifique, ce que fait quotidiennement, par ailleurs et depuis des décennies, via une canalisation, le centre de retraitement de la Hague au large du Cotentin !

Alertez les bébés… et les benêts 

Après les drones qui ont survolé d’une manière inquiétante la plupart de nos centrales, les indiscrets ballons géants chinois, les drones Reapers étatsuniens (par exemple, mais il y en a, évidemment, d’autres « puissances ») et autres engins d’observation (voire plus offensifs si nécessaire) qui sillonnent la stratosphère, les risques malveillants sont momentanément oubliés quand d’autres se révèlent. Des missiles et autres roquettes menacent de manière redondante la centrale de Zaporija. Où l’on découvre — ce que seules les inconscients pouvaient ou voulaient encore ignorer — qu’un réacteur et sa piscine peuvent non seulement devenir des prises et des cibles de guerre, mais aussi des vecteurs fortement radioactifs pour d’immenses territoires. Alors que la guerre de la Russie faite à l’Ukraine — totalement asymétrique — révèle à nos pays ravagés par l’optimisation capitaliste l’ampleur de nos dépendances aux gaz, pétrole, matières premières, métaux rares, alimentation, produits pharmaceutiques, rien n’est dit de celle de l’uranium « naturel » (50 %/an) venu du Kazakhstan, d’Ouzbékistan… transitant souvent par la Russie, et celle de l’uranium enrichi fourni par cette dernière via Rosatom, sans qu’aucun embargo ne soit engagé ni même envisagé par ses pays clients : France, États-Unis, Canada, Royaume-Uni…

Droit dans le mur, on accélère

Malgré tous ces mauvais signaux, la France persiste, précipite, irresponsabilise… Prêt à tout pour promouvoir l’atome dit « décarbonné », Macron a combiné des alliances « contre-nature » pour inclure l’énergie nucléaire et le gaz dans la taxonomie européenne afin d’orienter les investissements vers des sources d’énergies rebaptisées « vertes ». Il s’enferre et nous enserre dans la mobilité électrique, sans rien faire ou si peu pour la sobriété, la rénovation et pour l’efficience énergétique. La France est aussi le pays le plus en retard d’Europe sur ses engagements quantitatifs sur les EnR, et a été condamnée pour cet écart.

En janvier 2022, E. Macron annonçait la construction de 14 EPR (6, puis 8). Depuis, il accélère et détricote les procédures environnementales, instrumentalise les consultations publiques et « représentatives », projette, avec l’aide du Sénat, de prolonger vaille que vaille les réacteurs au-delà de 40, 50, 60… (Cédric Lewandowski directeur exécutif d’EDF propose même 80 ans !). Il projette aussi de s’exonérer de la réduction à 50 % de la part du nucléaire d’ici à 2035 dans le mix énergétique et aussi d’en déplafonner la production annuelle précédemment fixée à 63,2 GWh par la loi de transition énergétique de 2015. Alors qu’on s’attendait à un « recadrage » de l’ASN, c’est finalement l’IRSN qui est promise a être dissoute dans l’ASN, sans doute avec l’intention de lui réduire ses attributions. Un remède vieux comme le monde : quand la température monte, casser le thermomètre !

Le conjuration des « éclairés » obscurs

Libre à Macron de fustiger « les professionnels du malheur et la conjuration des esprits tristes » (Conseil des ministres du 5/1/2023) à laquelle il doit (va) faire face, la raison nous oblige, nous, à rationnellement exclure cette énième fuite en avant vers le quantitatif et d’y préférer le qualitatif. De faire usage de toute ressource avec circonspection. De prioriser les énergies de flux à celles de stock, le doux au dur, le vert au gris.


Notes

[1] L’Italie reste néanmoins confrontée au démantèlement de ses centrales, à la gestion très discutable des déchets, poursuit la recherche et importe de l’électricité parfois produite à partir du nucléaire, de France en particulier, et reste sous l’aile nucléaire de l’Otan depuis  sa création en 1949.

[2] L’Allemagne a « potentiellement » fermé « tous » ses réacteurs. La fermeture des trois derniers à cependant été reportée à la mi avril 2023 pour pallier aux mesures de restriction de livraison de gaz de la Russie  suite aux embargos décidés contre elle après son invasion de l’Ukraine. Toutes ces dernières année, l’Allemagne a massivement investit dans les EnR, diminué son recours au charbon et à la lignite mais restée dépendante au gaz.

[3] À Saint-Laurent-les-Eaux (Nouans), dans le Loir-et-Cher (distance orthodromique : 108 km du Mans), en 1967, sur le réacteur SLA 1 (un an d’interruption) et en 1980 sur le réacteur SLA 2 (plus de trois ans d’interruption), tous deux classés 4 sur l’échelle INES quand le second au moins aurait dû l’être au niveau 5 pour rejet de plutonium. À la centrale dite du Blayais à Braud-et-Saint-Louis, fin 1999, la simultanéité de la tempête Martin et de fortes marées a généré des vagues de submersion, inondé la centrale, mis en péril son système de refroidissement et frisé l’accident majeur.


 Photo : capture d ‘écran sur le web. Illustration : SdN 72 (J.-L. B.).