Renationalisation d’EDF ? EDF et la Constitution


Février 2023 — Sarthe, France…

Ce texte d’un militant de SdN 72 sur la nationalisation ou plus exactement la renationalisation d’EDF complémente — sous un angle différent — un précédent article coécrit par Martial Château (lui aussi militant et coprésident de SdN 72, et ex-administrateur du Réseau) et Philippe Lambersens (ex-administrateur du Réseau) que nous avons publié début décembre 2022. Son titre : « Renationaliser EDF, pour quoi faire ? ». Vous pouvez le retrouver ici : . Il est aussi paru dans la revue trimestrielle Sortir du nucléaire pour lequel il avait été écrit, dans son édition, automne 2022, n° 95, p. 28.

Renationalisation d’EDF ?

Jeudi 9 février 2023, « dans un hémicycle déserté par la majorité (Renaissance, Horizons, MoDem), l’ensemble des oppositions a voté par 205 voix contre 1 la nationalisation d’EDF, l’incessibilité de son capital et l’accès aux tarifs régulés d’électricité aux artisans, boulangers notamment, commerçants et PME qui, jusqu’à présent, ne pouvaient pas en bénéficier en raison de la puissance consommée » [1].

C’est incontestablement une première victoire, même si la bataille n’est pas encore gagnée. Et pourtant ….

On est dans une drôle de situation où l’on tente de créer une loi qui permettrait que le statut d’EDF soit conforme…. à la constitution française.

En effet :

La constitution française de 1958 débute par ces mots :

« Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 … »

Dans son article 9, ce préambule nous dit :

« Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

L’eau, l’électricité, le gaz, les autoroutes, le téléphone, internet, La Poste, etc., sont des services publics nationaux. De plus, ils sont de type monopolistique. En ouvrant ces services à la concurrence et en les privatisant, nos gouvernements respectent-ils notre constitution ? À moins que la constitution européenne soit supérieure à la française ?

Il est cependant certain que cet article 9 ne fait absolument pas le jeu du monde ultralibéral dans lequel nous vivons.

Qu’est-ce qui doit être nationalisé (ou collectivisé) ?

En matière d’électricité, la rationalité, la péréquation tarifaire et l’intérêt général exigent que le transport et la distribution restent des entités uniques nationalisées (ou même européanisées).

En ce qui concerne la production, à titre d’exemple et de réflexion, on n’abordera ici que le photovoltaïque.
La production photovoltaïque pourrait être collectivisée [2]. En effet, seules les collectivités locales, départementales ou régionales peuvent inscrire leurs démarches de construction d’installations productrices d’électricité dans une cohérence nationale ou européenne servant l’intérêt général. De telles constructions par le secteur privé ne peuvent avoir comme but premier que de servir les intérêts privés et ceux des actionnaires.

Voir à ce sujet les tendances à construire des parcs photovoltaïques en plein champ parce que c’est plus rentable que d’y faire pousser du blé et moins cher de les installer là plutôt que sur les toits des bâtiments. Voir l’intervention de Delphine BATHO lors de la réunion du jeudi 24 novembre 2022, à 15 heures de la Commission des affaires économiques [3].

Et clin d’oeil à l’histoire

L’intérêt général qui s’oppose aux intérêts privés n’est pas sans rappeler un épisode marginal mais symptomatique de l’histoire de la bataille de la nationalisation de l’électricité. C’est le « Programme 38 » (pour 1938). Dans ces années-là, « on reproche en particulier (aux grands patrons des centrales hydrauliques) une sous-utilisation du potentiel hydroélectrique qui occasionne de coûteuses importations en charbon. À cela s’ajoute les critiques de superprofits, même en pleine dépression » [4]. Cela n’est pas sans rappeler la situation actuelle.

Alors, en 1938, Pierre SIMON, le directeur de l’électricité au ministère des Travaux publics « a fait venir  (dans son bureau) Ernest Mercier, Pierre-Marie Durand et quelques autres grands seigneurs (de l’électricité) et leur a dit : « Messieurs, il faut en sortir ! Il faut faire un programme d’équipement (de la France en centrales hydraulique). Je suis un homme libéral. Je vous laisse le soin de le faire. Je vous donne un mois pour l’apporter. Si dans un mois vous n’avez rien fait, je le ferai moi-même… et peut-être vous égratignera-t-il un peu. » » [5].

On sentait là que l’électricité devenait trop importante pour qu’elle ne soit que l’affaire du secteur privé. D’ailleurs, au moment du Front populaire, l’idée de la nationalisation était déjà dans l’air.

Par la suite, Pierre SIMON a été le premier président-directeur général d’EDF, la toute nouvelle entreprise nationalisée créée le 8 avril 1946 sous l’action opiniâtre du ministre communiste de la production industrielle Marcel PAUL [6].


Notes

[1] Médiapart du 10 février 2023.

[2] Cependant on pourrait laisser à l’initiative individuelle de petites installations, qui par exemple ne dépasserait pas 10 KW crête pour correspondre à ce que l’on peut imaginer pour la maison d’un particulier.

[3]  https://www.nosdeputes.fr/16/seance/531#inter_b2f96b75b365cae92f834d5c9a83ad19

[4]  Alain Beltran « Histoire(s) de l’EDF » p 18

[5]  Alain Beltran « Histoire(s) de l’EDF » p 18

[6]  Pour la petite histoire, Marcel PAUL a passé toute sa jeunesse à Moncé en Belin au sud du Mans.  Le site : sdn72.org (vous y êtes) a évoqué l’histoire singulière de ce personnage, ici :  et là : .

                                                                                                                                         Laurent Froidevaux, février 2023