L’eau et le nucléaire


Mi-juin 2021 – Sarthe…

Dans ce post, nous revenons sur l’eau et le nucléaire. L’eau avait effectivement été retenue pour thème de la manifestation « La marche d’après » du dimanche 9 mai 2021 (c’est ici : ). Las des mesures limitantes, une tournure « carpe diem » [1] l’avait emporté au détriment des ateliers de sensibilisation [2] où le précieux liquide devait être potassé.

Indispensable à la vie, douce ou salée, l’eau — de mer, des cours d’eau, des retenues, des nappes phréatiques, du… robinet, voire évaporée des tours aéro-réfrigérantes de certaines centrales nucléaires (cf. encadré) —  est malmenée, accaparée, privatisée, stratégisée, gaspillée… et polluée par toutes sortes d’agents chimiques, mais aussi par toute une gamme de radionucléides — autorisés (mais soumis à des seuils) — libérés en masse par la production électrique essentiellement d’origine nucléaire en France.

Le nucléaire « prend » l’eau

Fleuves et affluents : la Loire… L’eau ! Son abondant usage pour le refroidissement des réacteurs est abordé dans notre encadré ci-contre (des chiffres essentiellement franco-français ici), n’y revenons pas. Plus spécifiquement, selon une information Wikipédia (corroborée par une administration), notez qu’en région Centre, le secteur de l’énergie (centrales nucléaires de Belleville, Chinon, Dampierre et Saint-Laurent-des-Eaux/Nouan situées sur la Loire) prélève le plus d’eau (62 % des ressources en eau de la région). Il est suivi par les usages domestiques, l’agriculture (irrigation) et l’industrie, minoritaire. Les centrales nucléaires prélèvent essentiellement dans les eaux superficielles (95 % de l’eau disponible) alors que les autres activités (irrigation, alimentation en eau potable, besoins industriels) sollicitent plutôt les eaux souterraines.

Comme tous les pays produisant de l’électricité à partir de l’atome, les très nombreux réacteurs français (56 désormais) ont des autorisations de rejets (officiellement plafonnés) d’une kyrielle de radioéléments, aussi bien en mer qu’en fleuves, rivières, estuaires… C’est ainsi que des prélèvements réguliers (eaux et sédiments) dans la Loire et la Vienne par des vigies citoyennes instituées par le collectif La Loire à Zéro nucléaire (LLZn [ex : SdN-L&V], auquel participe SdN 72) en partenariat avec l’Association pour le Contrôle de la Radio-Activité dans l’Ouest (ACRO) ont révélé des taux anormalement élevés de tritium, rien moins que 310 Bq/l en janvier 2019 à Saumur [3] (beaucoup plus que les valeurs publiées par EDF et plus que le seuil d’alerte de 100 Bq/L dans l’eau potable qui doit déclencher des investigations, lire l’article de l’ACRO, ici : ). Du tritium qu’on retrouve également en quantité élevée dans l’eau du robinet de grandes villes qui y puisent toute ou partie de leur eau de consommation (Angers, Tours et Blois par exemple). Ce qui est vrai pour la Loire l’est évidemment pour les autres fleuves (la Seine, la Garonne, le Rhône, le Rhin, la Meuse) et leurs affluents (la Vienne, la Moselle…) et l’estuaire de la Gironde.

Montjean-sur-Loire. C’est encore dans les « banquettes » de la Loire, à Montjean-sur-Loire, près d’Angers, qu’a inopinément été retrouvé (en juillet 2015) du plutonium [4], résultat des largages étalés dans le temps de ce radionucléide suite à l’accident nucléaire de  l’ancien réacteur graphite-gaz SLA 2 de Saint-Laurent-des-Eaux/Nouans, le 13 mars 1980 [5]. Un accident nucléaire — grave — autoritairement dissimulé. Ces largages de plutonium ne seront vraiment appris, reconnus et avoués par l’ineffable Marcel Boiteux (dirigeant d’EDF de 1967 à 1987) qu’en mai 2015, trente-cinq ans après les faits… dans l’émission « Spécial investigation », de Canal +.

Fukushima/Japon. Passés les Jeux Olympiques de Tokyo, entérinant un pseudo retour à la normale à Fukushima, Tepco et les autorités nippones ne cachent pas leur intention de rejeter les eaux d’aspersion du corium toujours actif de chacune des trois centrales détruites et des quatre piscines de désactivation (avec celle du 4e réacteur qui n’a pas explosé) dans les eaux du Pacifique (plus les eaux de  ruissellement et des nappes contaminées). Soit 1 275 000 m3 d’eau irréversiblement contaminée (200 m3/j) aujourd’hui stockée dans 1043 réservoirs (chiffres de mai 2021), qui même « traitée » conserve encore des radioéléments et surtout du tritium, aujourd’hui encore infiltrable. Sa période étant de 12,32 années, il conviendrait au contraire de la stocker sur quelques périodes (sachant que pour chaque période, la radioactivité est divisée par deux) pour en diminuer significativement sa nocivité [6]. Notez que moins de quatre ans après cet accident, des isotopes radioactifs (identifiés Fukushima) étaient facilement détectés sur la côte ouest des États-Unis et plus tard au Canada.

Tchernobyl/ex-URSS. En dépit du tunnel creusé par des mineurs soviétiques — stakhanovistes : réquisitionnés, conditionnés, sacrifiés… (hommage à eux !) — sous la carcasse éventrée du réacteur IV de Tchernobyl pour en renforcer le radier et contenir le corium fondu menaçant la nappe phréatique, les retombées aériennes et les eaux de ruissellement (pluies, plus arrosage du corium) ont néanmoins atteint les eaux souterraines voisines à la centrale et copieusement souillé en radioéléments les eaux de surface du Pripiat et du Dniepr.

Les océans exutoires. Longtemps, beaucoup de nations nucléaires (nous nous limiterons ici à celles de l’ouest de l’Europe) ont pratiqué l’immersion de leurs déchets radioactifs dans les profondeurs océanes (y compris la Suisse qui n’a pas de côte, mais les autres n’ont pas forcément opté pour les engloutir devant chez eux). Dont, la France — alors que son parc existait encore à peine ! On parle de 14 200 tonnes de déchets radioactifs immergés au large du golfe de Gascogne à la fin des années 1960 et 3 200 en Polynésie (entre 1972 et 1982) ; ensuite, elle les vitrifiera et les entreposera à la Hague (infra). Le Royaume Uni et un peu moins la Belgique, de 1949 à 1966, ont noyé une partie des leurs (17 274 tonnes selon l’Andra) dans la fosse marine des Casquets par 100 à 160 m de fond (en plus des munitions et des pesticides qu’elle accueillait déjà), à seulement 15 km au nord-ouest du cap de la Hague..

En 1967, sous l’égide de l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN), de l’OCDE, l’Allemagne, la Belgique, la France, le Royaume Uni et les Pays-Bas ont sans plus de scrupule immergé environ 11 000 tonnes de déchets (36 000 fûts) dans l’Atlantique (à 400 km au large du Finistère espagnol). En 1969, une nouvelle opération, regroupant la Belgique, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse s’est traduite par l’immersion d’environ 9 000 tonnes à 900 km à l’ouest de la Bretagne (par 4 000 et 4 600 mètres de profondeur).

L’AEN (supra) a poursuivi les campagnes d’immersion jusqu’au moratoire de 1983, sur le site au large du golfe de Gascogne, utilisé par la Belgique, le Royaume Uni, les Pays-Bas et la Suisse.

Fortement et spectaculairement dénoncés par Greenpeace, en 1983, un moratoire va suspendre cette pratique. Tardivement, en 1993, les parties signataires de la convention de Londres, dont la France, décident d’interdire l’immersion en mer de ces fâcheux « reliquats » atomiques. Cependant, des dizaines de milliers de barils — non tracés — sont aujourd’hui en déshérence, ont subi les outrages du temps, de la corrosion, des convulsions des fonds marins, ont dérivé et échappé à tout contrôle. Certains ont néanmoins été filmés par un robot de Greenpeace : éventrés. Combien d’autres ont vu leur contenu dispersé en mer ? Mystère !

Voilà pour cette manière toute singulière de jeter ses « encombrants » (déchets nucléaires) aux « monstres » (des abysses). Ce paragraphe n’est évidemment pas exhaustif. Nous n’avons traité ici que de la désinvolture des pays nucléarisés de l’Europe de l’ouest. Les Etats-Unis, la Russie, la Chine… que nous n’avons pas traité ici, n’ont-semble t-il pas été plus « vertueux ». Au total, quatorze pays en ont déversé, dans quatre-vingts zones ! Les E-U ont « libéré » des quantités de déchets dans de nombreux sites à l’est et à l’ouest de leurs côtes. La Russie également. Et nul n’ignore aujourd’hui la poubelle nucléaire qu’est la mer de Barents, cimetière à sous-marins (et parfois avec leur armement), porte-avions, brise-glaces… nucléaires.

Des déchets de plusieurs nations — enfouis, abandonnés — sous les glaces et le permafrost de l’Arctique émergent aussi à la faveur de l’augmentation de la température des pôles. Dès lors, on est guère surpris que le Japon n’envisage rien d’autre que les profondeurs de l’océan pour se débarrasser de son stock d’eau chargée de tritium (et pas seulement) employée pour refroidir les réacteurs et piscines accidentés de Fukushima (supra) !

Raz Blanchard. Cependant, la mer reste encore le réceptacle d’innombrables effluents radioactifs via les eaux de refroidissement des centrales côtières aussi bien que de l’intérieur (via les fleuves et/ou affluents bien que théoriquement dilués par des « clarinettes » (conduites percées). Le susdit collectif a démontré que la zone de mélange était loin de remplir l’objectif assigné) on l’a vu supra, mais, c’est aussi le cas des effluents d’une quasi exception au monde : l’usine de retraitement de la Hague (qui, pour être une installation nucléaire de base (INB), n’est pas une centrale électrique). Elle vomit les siens — réputés les plus polluants en « qualité » et en quantité — dans le raz Blanchard (à 4 km de la côte nord-ouest du Cotentin).

Orano-La Hague et Centre de stockage de la Manche. L’usine de retraitement (exception franco-française) et le Centre de stockage (plus la centrale de Flamanville et le complexe Naval Group à Cherbourg) font de la pointe du Cotentin un des sites les plus nucléarisés au monde. L’usine de retraitement de la Hague (totalement inutile par ailleurs) mérite bien d’être stigmatisée pour ses pollutions des eaux souterraines et de surface (plus celle du raz Blanchard, supra) plus souvent qu’à son tour. Récemment, fin 2020, l’ACRO (supra) a mis en évidence une pollution inhabituelle dans la zone du ru des Landes, avec la présence notable d’américium-241 et de plutonium particulièrement toxiques. En octobre 2016, l’ACRO avait déjà pointé la pollution du susdit ruisseau et de la zone humide par du strontium-90 et du plutonium. Ce filet d’eau ne constituant pas un exutoire réglementaire des eaux pluviales recueillies sur le site d’Orano-Areva, reste à en trouver l’origine. Si nous n’avons pas, nous non plus, « les éléments de caractérisation » selon le bel euphémisme employé par l’IRSN, la coupable désinvolture d’Orano ne nous fait guère de doute.

L’étanchéité de son voisin, le Centre de stockage de la Manche, de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), où gisent cinquante ans de déchets radioactifs ensevelis sous terre, est loin, elle aussi, d’être garanti. Là, c’est le lit du ruisseau de Sainte-Hélène qui est impacté. En 2013, l’ACRO y a retrouvé des actinides (étude commanditée et payée par le conseil général de la Manche et l’Autorité de sûreté nucléaire).

Notez qu’en début d’année 2021, la mairie de La Hague — qui ne manque ni d’humour, ni de cynisme — a candidaté au statut de Géoparc mondial Unesco, qui consacre des « sites et paysages de portée géologique internationale […] gérés selon un concept global de protection, d’éducation et de développement durable », on a vraiment envie d’en mettre trois : !!!

L’eau dans tous ses états. Si l’eau est indispensable à la vie et aussi au fonctionnement des centrales, elle peut aussi perturber et compliquer profondément leur fonctionnement. Pour les réacteurs équipés de tours aéro-réfrigérantes, il faut la traiter avec des biocides et produits chimiques (cf. encadré)… Indispensable source froide pour rafraîchir les réacteurs, on l’a même vue… geler à 0° centigrade et mettre en danger la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux/Nouan (entre Orléans et Blois) à l’hiver 1986-87. La suite montrera aussi qu’une possibilité d’empilement des causalités ne peut jamais être écartée [7].

En 1993, face à la prolifération de groseilles des mers [8], il a fallu arrêter les pompes de la centrale de Gravelines et finalement stopper ses six réacteurs. Ailleurs, ce sont les méduses qui entraveront le pompage de la centrale nucléaire de Torness, en Ecosse (en 2011), aussi celle de Shimane, au Japon, ou encore celle (à flamme) d’Hadera, sur la côte israélienne. En décembre 2009, la voie normale puis la voie de secours de refroidissement de la centrale de Cruas sont toutes deux obstruées par des algues. En janvier 2021 les circuits d’eau des quatre réacteurs de la centrale de Paluel (Seine-Maritime) ont également été obstrués par des bans de petits poissons contraignant la centrale à une baisse significative de sa production électrique et… de la ressource halieutique.

Les ex-mines d’uranium. La France a compté sur son territoire jusqu’à 250 mines d’uranium exploitées, réparties sur 27 départements. Toutes désaffectées aujourd’hui ! La dernière sur le territoire a fermé en 2001. La plupart, laissées à l’abandon, n’ont été ni décontaminées ni « valorisées » comme on a l’aplomb de dire aujourd’hui ! Mais les lessivages de la pluie sur les stériles uranifères poursuivent leur œuvre, dans les cuvettes d’eau, les nappes, ruisseaux, lacs… Exemple : dans le département de la Loire (42), le site minier dit Bois-Noirs-Limouzat, à Saint-Priest-la-Prugne (plus de 6 900 tonnes d’uranium y ont été extraites de 1955 à 1980), et un bassin de déchets continuent a contaminer, et sans doute pour longtemps encore, les eaux de la Besbre de ses résidus radiotoxiques, notamment lors d’inondations. Pour être l’un des sites les plus significatifs, il est évidemment loin d’être une exception.

Malvési (Comurhex-Areva-Orano). L’usine Orano Malvési (ex-Comurhex de 1975 à 2014, Orano en 2014, Areva en 2018, classée Seveso seuil haut et partiellement INB) colonise la périphérie nord de Narbonne (ZI de Malvezy, à 3 km du centre). Elle est spécialisée dans le raffinage et la conversion de concentrés miniers (communément appelés yellowcake qu’elle importe en totalité) et qu’elle transforme en tétrafluorure d’uranium. En volume, elle traite la totalité des besoins nationaux et globalement le quart de l’uranium… mondial. Cet UF4 sera ensuite transformé en hexafluorure d’uranium (UF6). Ce process d’enrichissement de l’uranium est opéré à l’usine Georges-Besse [9], sur le site du Tricastin (Drôme).

Elle cumule aussi les infortunes : accidents du travail (avec mort d’homme), explosion, déraillement, fuite, débordement, rupture de digue… En 2004, de fortes pluies gonflent plusieurs lagunes de décantation jusqu’à la rupture de la digue du bassin B2. De 15 000 à 30 000 m3 (selon les sources) de boues contenant de l’uranium, du radium… inondent la plaine alentour sans toutefois atteindre le canal du Tauran. En janvier 2006, d’intenses pluies conduisent (encore !) à l’inondation et à diverses pollutions chimiques et d’uranium de la plaine de la Livière et d’une partie des bassins de décantation et de lagunage des effluents aqueux produits par l’usine. Les 23 et 24 août 2009, des déversements d’eau polluée de fluor et d’uranium (issus du process) parviennent au canal de Tauran et rejoignent la Robine (interdisant ses eaux à l’usage agricole) puis l’étang de Bages-Sigean et enfin la mer, à Port-la-Nouvelle. Malvési signifie « mauvais voisin » en occitan…

Eaux polynésiennes, îles Marshall… Entre 1966 et 1996, la France a procédé à 193 essais nucléaires dans les eaux de la Polynésie française : 46 essais aériens, 147 essais souterrains en mer à Mururoa et Fangataufa. Des atolls aujourd’hui encore interdits et pour longtemps. Si l’eau est restée turquoise, la radioactivité y perdure, malgré les flux de la mer, les cyclones, et certains redoutent l’effondrement de certains atolls fragilisés, ce qui pourrait réveiller la radioactivité d’anciens puits d’expérimentation.

Entre 1972 et 1982, la France s’est aussi débarrassé de quelques 2 500 tonnes (70 milliards de becquerels) de déchets nucléaires liquides et/ou solides par plus de 2 000 mètres de fond à proximité de l’atoll de Mururoa.

Les Etats-Unis ont eux aussi copieusement expérimenté. Les îles Marshall, par exemple, ont subi au moins 40 essais aériens et/ou souterrains (avec déportation de la population) sur et autour de l’atoll d’Enewetak. Sur l’île Runite, le cratère a été « valorisé » d’un immense sarcophage à déchets nucléaires recouvert d’un conséquent dôme en béton. Seulement, « la tombe » (c’est son surnom) prend l’eau, et avec le réchauffement climatique, le niveau de la mer monte et l’îlot sera l’objet d’inondations côtières répétées avant la moitié du siècle et de submersion à sa fin.

« Ça baigne » versus nucléaire. Construite en contrebas du grand canal d’Alsace (8 m en dessous), la centrale de Fessenheim a longtemps été vulnérable aux risques d’inondations en cas de rupture de digue pour des raisons météorologiques, sismiques, accidentelles, malveillantes… (et le reste encore pour quelques années après l’arrêt des deux réacteurs qu’il faut toujours refroidir). Idem la digue de la centrale nucléaire du Tricastin. « Du fait d’un risque de rupture d’une portion de 400 mètres de la digue du canal de Donzère-Mondragon en cas de séisme », en septembre 2017, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait imposé l’arrêt provisoire des quatre réacteurs. Ces travaux de renforcement faits (bien qu’en traînant des pieds), la centrale avait redémarré début décembre. Pour autant, le compte n’y est toujours pas ! Reste encore à EDF à réaliser d’importants travaux complémentaires sur ces digues pour répondre aux normes de sûreté (et de surveillance) post-Fukushima, imposées par l’ASN d’ici fin 2022.

Il n’est pire eau que l’eau qui dort. Comme les cuves des réacteurs ont leur exclusion de rupture, comme chacune de leurs enceintes de confinement se doivent d’être étanches (bien qu’on sache les unes et les autres fissurées), les barrages eux aussi vieillissent, révèlent des faiblesses et, qui sait, des surprises. Le risque de rupture de barrage comme celui — identifié, documenté — de Vouglans, dans le Jura, menace évidemment et dangereusement les populations des villes et villages en aval (dont Lyon) et, de manière prégnante, la centrale nucléaire du Bugey, première d’une série de quatre centrales (et/ou quatorze réacteurs) parsemées sur la vallée du Rhône. Autant dire une catastrophe en chaîne qui n’a rien d’improbable, malgré le déni habituel de l’électricien public et des autorités, d’autant que de possibles embâcles risquent d’obstruer dangereusement leurs captages d’eau indispensables au refroidissement desdits réacteurs.

Stress hydrico-nucléaire. Plus encore que l’agriculture, l’industrie nucléaire a besoin d’un volume d’eau considérable (cf. encadré). Cette eau n’est qu’en partie restituée aux mers et cours d’eau plus chaude et/ou sous forme de vapeur (via un cycle nuages, dépressions…). Le débit de la Vienne étant notoirement insuffisant pour refroidir les deux réacteurs de la centrale de Civaux, notamment en période estivale, il a fallu la complémenter d’un immense réservoir, le lac Vassivière (aussi manne touristique), idem la centrale de Cattenom avec la retenue du Mirgenbach.

En 2003, un quart du parc nucléaire (17 unités) a dû être réduit ou arrêté pour cause de canicule ! Cette dernière décennie, la puissance de plusieurs réacteurs a dû être modulée (Cattenom, le Blayais et à Chooz en 2020) et plus souvent leur activité arrêtée (à  l’été 2018, Bugey, Saint-Alban et Fessenheim ; 2019, Tricastin ; 2020, Golfesh) pour défaut d’étiage et/ou d’élévation exceptionnelle de la température de l’eau corrélée au réchauffement climatique et/ou de fort cagnard (2003, 2006, 2018 et 2019). Et nous ne sommes pas à la fin du siècle !

Si l’eau vient à manquer, si sa température de prélèvement est trop élevée ou son déversement après utilisation est proscrit pour la survie de la faune et la flore en aval, voire en cas d’accident majeur privant un réacteur des circuits classiques de refroidissement, les nucléaristes ont développé une ultime parade : puiser l’eau des nappes en profondeur. C’est déjà le cas par exemple du Centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Cruas-Meysse et des unités 1 et 2 de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme). Un ultime joker qui évidemment crée déjà des conflits d’usage, des revers écologiques probables, etc., quand l’unique et inévitable challenge est de consommer et produire moins, mieux et autrement.

Un temps, les centrales construites sur le littoral ont pu paraitre moins vulnérables aux vertigineuses montées du baromètre. Pourtant, dès 2012, l’activité de la centrale Millstone dans le Connecticut a du être « gelée » pour dépassement du seuil de température de l’eau de mer sensée la refroidir. On ne vous dit rien des courbes de chaleur à venir…

Des tensions transfrontalières. Sans être aussi critiques que ceux de l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie, l’Inde et le Pakistan, Israël et la Palestine, les provinces ibériques entre elles, la France a aussi des conflits d’intérêts et d’usages de l’eau avec ses voisins. Avec la Suisse notamment, qui est le château d’eau de l’Europe, et a, de ce fait, la main sur les clés de fontainier. Pour leur propre intérêt, agriculture, production hydroélectrique, tourisme, les Helvètes (du canton de Genève) modulent, à leur guise, l’étiage du Rhône (au niveau du barrage du Seujet pour maintenir le niveau du lac Léman) surtout en période de sécheresse mais aussi pour les « chasses sédimentaires » de ses propres installations (hydrauliques par exemple). Des restrictions hydriques qui ne manquent pas non seulement d’embarrasser le refroidissement de la centrale du Bugey (et plus en aval, de Saint-Alban, Cruas et Tricastin) mais aussi de trop réchauffer l’eau du Rhône après relargage. À plusieurs reprises, la susdite centrale a été contrainte de réduire sa production d’électricité et/ou d’arrêter un ou plusieurs de ses quatre réacteurs. Bien des aléas, qui, autant le dire, complexifient les objectifs d’exploitation des centrales qui dépendent du fleuve impétueux. S’il est prévu une gouvernance inter-États du Rhône, on pressent bien ici ce que seront les prolongements à venir du réchauffement climatique.

Ni trop, ni trop peu

Pour être indispensable et salutaire pour le refroidissement des réacteurs, l’eau peut donc être d’un danger extrême si elle vient à manquer (sécheresse, difficultés d’alimentation du circuit de refroidissement…). Mais aussi, si elle est subitement trop abondante et incontrôlée. Citons la vague de submersion à Fukushima maintenant très connue (supra) mais aussi l’inondation de le centrale du Blayais (à côté de Bordeaux, ville qui a manqué d’être évacuée) fin décembre 1999 (le 27), conjugaison de la tempête Martin d’une exceptionnelle intensité et d’une grande marée [10]. Non seulement la centrale sera inondée, mais elle perdra son alimentation au réseau électrique et sa capacité de refroidissement, auquel il faut ajouter la panne de ses générateurs diesels de secours… À deux doigts de la cata !

Tant va la cruche à l’eau…

Ce ne sont que quelques exemples. On stoppera là l’inventaire des calamités et périls nucléaires liés à un déficit hydrique ou de son excès pourtant loin d’avoir tous été identifiés dans ce… court texte, si même ils peuvent l’être.

L’eau, pour le nucléaire, ce n’est qu’emmerdes et compagnie. Il faudrait — pouvoir — s’en passer. Ou… se passer du nucléaire !

Pour aller plus loin

Consulter les Fiches détox sur le site du groupe SdN 49 haut et fort, c’est ici : .

L’article « Le nucléaire et l’eau » de la revue Sortir du nucléaire n° 37 de décembre-janvier 2008, c’est là : .

L’article « Sécheresse et canicule : le nucléaire fait souffrir les cours d’eau » de la revue Sortir du nucléaire n° 66 d’août 2015, c’est ici : .

Et encore (mais vous pourrez sûrement trouver de nombreuses autres entrées) : « Le nucléaire et l’eau », sur le site de Ritimo, c’est ici : .


Notes

[1] « Carpe diem, quam minimum credula postero », cette locution latine extraite d’un poème d’Horace se traduit littéralement par « cueille le jour, et [sois] le moins crédule [possible] pour le [jour] suivant ». Sa traduction française « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain » la prive cependant des perspectives de la réflexion, du recul et de la possibilité de se reprendre après un bref lâcher-prise.

Au moins deux déclarations (sur le nucléaire et l’eau par le coprésident de SdN 72, et sur l’eau et le dossier Bener par le président de l’association des riverains) ont remplacé ces ateliers.

[2] Sur l’eau, les enjeux climatiques, la biodiversité, le bien commun, la pollution, l’agriculture ou encore le nucléaire…

[3] Ce travail et cette mise en évidence mériteraient à eux seuls un long et spécifique article, une présentation de la revue nationale Sortir du nucléaire n* 88 sera bientôt disponible ici : p. 13 (ce fichier sera disponible à l’été).

[4] Le plutonium existe très peu à l’état naturel. Il est produit par les humains. Extrêmement destructif tant il est particulièrement redoutable lorsqu’il est inhalé ou avalé, même à très faible dose.

[5] Le SLA 1 avait tout pareillement été accidenté le 17 octobre 1969.

[6] Pour mémoire, la radioactivité est divisée par 1024 au bout de dix périodes.

[7] Le matin du 12 janvier 1987, la glace obstrue les prises d’eau de la station de pompage du réacteur A1 (ex-UNGG). La source froide faisant défaut, le réacteur se met en arrêt automatique. Problème : les moteurs diesels de substitution ne fonctionnent pas. Le réacteur est aussi alimenté par le réseau électrique de l’ouest de la France via la centrale flamme de Cordemais. Fortement sollicité, le réseau risque l’effondrement. Il interviendra vers midi. Fort heureusement, in extremis, les diesels avaient pu être remis en service peu de temps avant l’effondrement. La glace obstruant les prises d’eau sera brisée à l’explosif par l’armée. Depuis, par grand froid, des pompes puisent l’eau réchauffée rejetée en aval de la centrale et, via une canalisation, la relâche en amont pour relever celle-ci de quelques degrés ! Vous avez-dit « usine à gaz ? »

[8] Un animal marin transparent de la famille du plancton, ressemblant à une méduse sans en être.

[9] Petite digression (consternante) : pour alimenter cette unité à sa pleine capacité de production, il faut trois des quatre réacteurs EDF de 900 Mwe situés sur le même site du Tricastin !

[10] Le bon sens voudrait qu’on construise les centrales en bord de mer avec une marge confortable au-dessus de leur niveau zéro (pour écarter tout risques de tsunami type Fukushima ou d’inondation type le Blayais), mais il faudrait alors fortement redimensionner l’arsenal de pompage, fortement solliciter le réseau électrique et, par conséquent, fortement entamer le taux d’efficacité du nucléaire qui n’est déjà (en moyenne) que de 33 %. Et plomber les coûts de construction-maintenance des réacteurs et le prix de revient du kW/h !


Illustration : nous avons emprunté plusieurs dessins de presse (dont certains sur la revue Sortir du nucléaire) sans connaître ni pouvoir citer les auteurs ni les organes qui les ont publiés . On répare dès qu’informé. Photo de SdN 72. Dessin « robinet » du site gratuit : int.nonukeart.com, poisson  » irradié  » : SdN 72.


Addendum. Suite à la réunion de Cascais de la convention OSPAR pour la protection de l’Atlantique du Nord-Est, qui s’est tenue le 1er octobre 2021, les ministres participant ont discrètement repoussé à 2050 l’engagement pris en 1998, à Sintra, de réduire les rejets radioactifs en mer à des niveaux dans l’environnement proches de zéro à l’horizon 2020. La France est la première bénéficiaire de ce report de 30 années, car, avec son usine de retraitement à La Hague, elle a les plus forts rejets radioactifs en mer d’Europe. Plus d’infos c’est là : .