L’hydrogène, un vecteur énergétique d’avenir ou une solution technologique illusoire à la crise climatique ?


Mars, avril, mai… 2021  –  Partout !

Ce texte sur l’hydrogène, de Martial Château (coprésident de SdN 72), que nous publions ci-dessous a d’abord été écrit pour la revue Sortir du Nucléaire du Réseau éponyme, qui l’a publié dans son édition trimestrielle n° 88, hiver 2021. Nous le reprenons à notre tour.

En bas de page, les clabaudages de notre « localier » sur le subit engouement des politiques du territoire pour ce vecteur énergétique qui — pour l’heure — consomme plus d’énergie fossile carbonée  qu’il n’en restitue (sans émission pour son usage, mais… pas pour le produire). Des acteurs qui par ailleurs restent massivement pronucléaires (SIC)

L’hydrogène, un vecteur énergétique d’avenir

ou une solution technologique illusoire à la crise climatique ?

La production et la consommation aujourd’hui 

L’hydrogène n’est pas une source d’énergie mais un vecteur énergétique au même titre que l’électricité. Il n’y a pas encore de gisement d’hydrogène exploitable, il faut le produire à partir d’autres sources d’énergie. De l’hydrogène dit « natif » est produit en continu par la croute terrestre selon deux processus, une réaction entre l’eau et certaines roches contenant des métaux et la radiolyse de l’eau provoquée par la radioactivité naturelle. Mais l’exploitation de cet hydrogène natif nécessitera des forages profonds avec quel coût financier et quelles nuisances environnementales ?

L’hydrogène est produit actuellement à 95 % à partir d’énergie fossile (pétrole ou gaz naturel) en utilisant des techniques très émettrices en CO2. En 2018, la production mondiale de 70 millions de tonnes d’hydrogène utilisé dans l’industrie, principalement pour la production d’engrais et le raffinage du pétrole a engendré une émission de 800 millions de tonnes de CO2, valeur comparable aux émissions du transport aérien commercial (918 millions de tonnes en 2018).

5 % sont produits grâce à de l’électricité, à travers un électrolyseur, appareil qui permet la transformation de l’eau en hydrogène et en oxygène. Cette technique possède un avantage. Si la production d’électricité utilisée est d’origine renouvelable, on dispose alors d’un vecteur énergétique d’un faible impact sur le réchauffement climatique. Mais aussi un inconvénient : un rendement peu performant, près de la moitié de l’énergie électrique est perdue au cours de la transformation [1].

Stockage et transport

Une technique peu onéreuse, utilisant les réseaux de gaz naturel existants, consiste à injecter jusqu’à 10 ou 20 % d’hydrogène dans le méthane, nettement plus si on convertit une partie de cet hydrogène en méthane via un procédé appelé « méthanation [2] ».

Et des techniques onéreuses et consommatrices d’énergie : la compression à 700 bars ou la liquéfaction sous une température de – 252°C.

L’hydrogène est par ailleurs beaucoup moins efficace que le pétrole : un litre de carburant d’essence contient la même quantité d’énergie que quatre litres d’hydrogène liquéfié, ce qui nécessite, pour stocker la même quantité d’énergie, d’avoir des réservoirs haute pression bien plus volumineux, ce qui complique son éventuelle utilisation dans le transport aérien.

Dangerosité

L’hydrogène étant un gaz très léger, il se disperse rapidement, il y a peu de risques d’accumulation. Mais il suffit de 4 % d’hydrogène dans l’air pour avoir un mélange explosif particulièrement destructeur [3] ! Peut-on vraiment exclure dans toute circonstance l’hypothèse d’une fuite accidentelle ou malveillante permettant l’établissement d’une poche d’un tel mélange gazeux pouvant exploser à la première étincelle ?

Le plan gouvernemental de développement de la filière

Dans le cadre du plan de relance économique post pandémie, le projet gouvernemental « hydrogène » est présenté comme un pilier majeur de la ré-industrialisation de la France et un outil central pour décarboner l’industrie et le transport.

Le ministre de l’économie Bruno Le Maire parle d’un « pari extrêmement audacieux », à 7,2 milliards d’euros sur dix ans ! Et pour le Premier ministre, « C’est l’une des briques les plus importantes de la partie “verdissement” du plan de relance » [4].

Qu’en est-il en réalité ?

Pour décarboner l’industrie et les transports à l’aide de l’hydrogène, il faudrait en produire d’énormes quantités par électrolyse. Et donc disposer d’un surplus abondant d’électricité d’origine renouvelable.

Nous en sommes très loin. Le projet gouvernemental « hydrogène » semble plutôt être un moyen pour justifier la poursuite et le développement de la production électrique d’origine nucléaire que le lobby ne cesse de présenter comme décarbonée, oubliant au passage les rejets permanents de substances radioactives et les millions de tonnes de déchets ingérables pendant des centaines de milliers d’années !

C’est en fait une poursuite des vieilles politiques d’un développement économique basé sur une croissance sans limite, qui oublie l’indispensable réorientation vers l’efficacité, la sobriété et la réduction des consommations énergétiques.

Le véhicule électrique à pile à combustible à hydrogène est-il une solution d’avenir ?

Sans doute pas pour les petits véhicules électriques car le choix des batteries est plus performant d’un point de vue rendement du cycle production électrique, transformation, stockage et restitution électrique que le cycle de la pile à hydrogène (70 % contre 30 %), même si la pile à combustible permet une plus grande autonomie.

Pour les transports lourds, camions et trains, et pour l’aviation, les volumes d’hydrogène nécessaires seraient tellement importants qu’un développement large est irréaliste. En relocalisant les productions, en développant les transports en commun… les économies d’énergie réalisées seraient probablement plus efficaces pour lutter contre la crise climatique.

En l’absence d’évolution technologique significative qui permettrait de diminuer les coûts et d’améliorer le rendement de  la production d’hydrogène à partir des pics de production électrique des énergies renouvelables, le développement massif de cette technique de stockage de l’énergie électrique semble illusoire.

                                                                                                                                         Martial Château


[1] L’électrolyse de l’eau a un rendement de 70 %, et pour la liquéfaction, le transport de l’hydrogène liquide et son stockage, les pertes sont d’environ 26 %, soit un rendement global de 52 % entre l’électricité et l’hydrogène.

[2] Réaction chimique de l’hydrogène sur le gaz carbonique produisant du méthane. Cette réaction dégage de la chaleur qui peut servir à chauffer l’eau de l’électrolyseur afin d’améliorer son rendement.

[3] C’est ce mélange qui a provoqué l’explosion des réacteurs de Fukushima, l’hydrogène provenant dans ce cas de la radiolyse de l’eau.

[4] Ce plan de relance français est influencé par le plan allemand de 9 milliards d’euros sur dix ans avec l’ambition de produire de l’hydrogène « vert » en Afrique du Nord et au Proche-Orient, pour l’importer ensuite vers l’Europe.


Cet article arrive à point pour être versé au débat local. L’hydrogène y est plébiscité de toutes parts : mairies, communautés de communes, départements, régions… Bus, camions, voitures et… 24 H (H24 ! infra), trains… Tous y sont convertis et tout devraient y être convertis. Zéro émission ! Y’a pas plus vendeur. Après « protège la nature », on avait pas trouvé plus déshonnête, voire mensonger. Car, pour l’heure, l’hydrogène est massivement produit à partir des énergies fossiles (à 95 %, supra) et ça devrait durer. La technique de production par électrolyse est gourmande en électricité, présentement de peu de rendement (cf. notre précédent article du même auteur sur le stockage, ici : ) et les EnR pas au rendez-vous (certaines contestées), insuffisantes en volume encore pour longtemps. Elle pourrait dommageablement plébisciter et rebooster le nucléaire si la demande devait exploser. Le directeur d’EDF Pays de la Loire, Michel Magnan, l’a lui même dit au quotidien Ouest-France  dans un article paru le 14 avril 2021 : «  Nous souhaitons retenir la production par électrolyse de l’eau en utilisant l’énergie électrique, selon un mix nucléaire (c’est nous qui soulignons) et énergies renouvelables ». Soit, avec un  des plateaux de balance lourdement nucléaire pour encore des lustres. CQFD.

L’ex-ministre de l’agriculture qui fustigeait (à juste titre) la conversion d’une part de l’agriculture allemande pour alimenter la méthanisation dans leur mix des EnR pour sortir du nucléaire (qu’il a par ailleurs porté avec énergie en France) roule maintenant (aussi) pour l’hydrogène. Depuis près d’un an, la ville a son premier bus à hydrogène, neuf autres sont commandés, des bennes à ordures suivront… Les édiles municipaux, départementaux et régionaux « mendigottent » une ligne Tours, Le Mans, Alençon, Caen à l’hydrogène. L’ACO veut son épreuve avec une catégorie dédiée en 2024. Simultanément, un partenariat s’est opéré avec la société sarthoise Qairos Énergie qui a mis au point un système de gazéification du chanvre. Fin 2021, son unité opérationnelle sera installée sur la commune de Changé (Zac de l’Étoile, au nord-ouest du Mans). Le second deal impliquera les agriculteurs (150 du réseau Loué seraient intéressés) pour une production de chanvre totalisant 1000 ha (dans un rayon de 35 km).  Une « paille », qui ne représentera que 0,5 % des surfaces cultivées actuelles du département mais qui sera amenée à s’étendre, voire à se dupliquer. Si le conflit d’usage n’est pas direct, les producteurs, eux, voudront forcément améliorer leur productivité, faire de l’intensif, basta le bio (surtout si les recettes s’avéraient être un complément de revenu aussi indispensable que l’était le chanvre au XIXe siècle sur notre  département). Enfin, ces surfaces s’ajouteront aux cultures déjà dédiées au biogaz et aux biocarburants par exemple.

En 2024, comme cet été avec les JO  au Japon (départ de la flamme du village olympique, épreuves de football… à Fukushima), au Mans, le sport automobile devra sublimer la technologie et le sport, et participer de « l’enfumage » — décarboné — des spectateurs, automobilistes et citoyens avec une participation de bolides propulsés à hydrogène aux 24 Heures du Mans. Une opération baptisée H24 (un subtile mélange de : hydrogène, du symbole H2, du H de l’heure et de l’hydrogène, de l’année 2024 et de la durée de l’épreuve). Avant comme après, l’ACO (et ses affidés) en mal permanent de justification et de promotion d’un sport déplacé, malvenu, malsain… et aux valeurs désuètes, communiquera encore et encore sur ses capacité d’excellence, de modernité, d’innovation, alors que des modèles de série (BMW, Honda, Hyundai, Toyota par exemple) sont déjà sur le marché (certaines depuis 2006). Mais l’important n’est-il pas de participer ?


Photos (station d’hydrogène Total du Mans-Arnage) : SdN72. Dessin de Red (dessinateur de presse à l’incontournable site Reporterre, Agir pour l’environnement (entre autres). Infographies (pastiche H2 gris et bouteille H2) : SdN 72 (J-L B).