Vraie loi climat ! La résilience invalidée ?


Le 28 mars 2021  –  Le Mans, Sarthe…

Au meilleur de sa démonstration, le cortège du dimanche 28 mars, au Mans, a compté plus de 400 manifestant·e·s, tous et toutes plus que sceptiques sur le résiduel retenu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) dans le projet de Loi climat et résilience [1].

Tout ce petit monde — dont SdN 72, infra — était donc là pour peser sur le texte de loi qui sera  débattu dès le lendemain et pendant trois semaines à l’Assemblée nationale. Certain·e·s avec leur singularité.

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Rassemblé place de la République, au Mans, le cortège a ensuite bruyamment déambulé au rythme de l’incontournable batucada (hélas… pas toujours appréciée des sonos « cassées ») et des reprises de slogans dans le centre piétonnier, puis s’est stabilisé un temps devant la préfecture avec un symbolique die-in (simulant le crime climatique) et retour vers le théâtre des Quinconces de la place des Jacobins, occupé par les intermittents du spectacle (que nous soutenons !). Quelques courtes prises de paroles (dont celle — amère — de Mélanie Cosnier, habitante et maire de Souvigné-sur-Sarthe, unique Sarthoise a avoir participé à la Convention citoyenne pour le climat), des performances et des sets musicaux ont bouclé cet après midi « coup de gueule ».

SdN 72 y était discrètement présent avec sa nouvelle banderole, inventaire illustré des infrastructures et friches nucléaires ligériennes (photo) et distribuait son quatre-pages « Le nucléaire ne sauvera pas le climat » (que vous pouvez retrouver ici : ). Sur le même thème, une seconde publication free lance plus confidentielle circulait aussi. Intitulée «  Lutte pour le climat… le nucléaire n’est pas la solution ! » côté recto. On vous livre le verso en exclusivité (en pièce jointe, ci-dessous). Retrouvez, aussi, l’excellent reportage photographique de cette journée de Daniel Margreth (et la vidéo de TVMaine) sur son site Jour & nuit, ici : .

Foutage de gueule

Précisons-le d’entrée, beaucoup estimaient déjà insuffisantes les 149 propositions de la CCC. Délégitimé par le fort mouvement des « Gilets jaunes », sa gestion martiale du maintien de l’ordre, son exercice vertical du pouvoir, Macron va s’essayer à l’horizontalité pour n’en produire qu’une parodie. En plus des démagogiques consultations participatives de la CNDP (Commission nationale du débat public) [2], ce sera le Grand débat, les cahiers de doléances, [3] et, pour reprendre la main sur le réchauffement climatique, la Convention citoyenne pour le climat qu’il va mouler à sa main. Par sa désignation [4], son centrage sur les émissions de CO2, excluant de son périmètre les vecteurs de la production d’énergie, dont le nucléaire. À la manœuvre pour informer le panel des citoyens tirés au sort, les mettre à niveau, voire les conditionner, les formater, d’honnêtes spécialistes, mais aussi des lobbyistes, des influenceurs, des pronucléaires. Bref, un  aréopage médiatique, consensuel, connivent…

Macron avait promis à la CCC ses conclusions sans filtre et n’avait annoncé aucun joker. Il va pourtant en dégainer un d’entrée, puis récuser trois autres propositions. Viendra ensuite un détricotage en règle des restantes (dont certaines prétendument inclues, « cavaliérisées », dans d’autres textes. Plus rompu et sensible aux agences de notation, Jupiter n’avait sans doute pas anticipé la rebuffade de l’Association des 150 (119 des 150 citoyens) qui va lui coller un 3,3/10 pour le traitement des propositions de la CCC, ni la colère de la rue.

Alors que ce président se joue des propositions de la CCC, alors qu’il se dit officiellement en faveur de la réduction des émissions de CO2, « en même temps »,  il flirte dangereusement avec les pays [5] partisans de l’inclusion du gaz fossile (dit naturel) dans la taxonomie européenne (classification des énergies vertes) fléchant les investissements publics comme privés vers la transition bas carbone en échange de leur soutien à celle du nucléaire (notamment français) en pleine débâcle financière.

Ni effet de serre, ni nucléaire

Non seulement « le nucléaire ne sauvera pas le climat » mais cette technologie ne peut contribuer qu’à plomber davantage l’état de notre unique planète aussi sûrement et durablement que son réchauffement. Des îles sont déjà submergées et le phénomène va hélas s’accélérer, comme par ailleurs d’immenses territoires sont déjà contaminés et inhabitables sauf à pendre de sérieux risques pour sa santé à moyen et long terme, même en respectant un strict protocole, genre l’indigne programme Ethos [6]. Rappelons : Kychtym [7], Tchernobyl, Fukushima, l’immense polygone de Semipalatinsk au Kazakhstan [8], les atolls Rongelap, Christmas, Bikini… (îles Marshall), Polynésie… Début mars, les poussières radioactives des essais nucléaires français au Sahara (aériens et souterrains, notamment les « ratés ») des années soixante, se sont invitées sur les peaux de nos voitures… accessoirement la nôtre, sur nos jardins, dans l’eau,  nos cultures vivrières, etc. Beaucoup s’en sont étonnés, voire inquiétés. Combien ont pensé aux populations autochtones d’hier et d’aujourd’hui ? Même nos cours d’eau (rivières, fleuves) et nos mers sont dépositaires de nos déjections radioactives — autorisées — depuis des décennies. On retrouve du plutonium dans la Loire et même du tritium dans l’eau du robinet (même après traitement) des villes qui prélèvent leur eau courante dans son lit…

Cassandre

Pour oublier, il faut avoir connu. Une forte majorité de la manifestation était fort heureusement jeune, on ne saurait lui reprocher de méconnaître un précédent 28 mars. Celui de 1979. Nous aurions mauvaise grâce d’en célébrer l’anniversaire, nous nous bornerons seulement d’en rappeler l’évènement.

Il y a donc quarante-deux ans, jour pour jour, démarrait un angoissant suspens, notamment aux Etats-Unis, qui durera trois longs jours et qui perdure toujours dans l’inconscient collectif des Nord-Américains ! Ces jours là, le pays de l’oncle Sam connaîtra l’accident nucléaire — civil — le plus important de son histoire, à Three Mile Island, en Pennsylvanie (après Kychtym [cf. note 7] et Windscale/Sellafield, tous les deux en 1957 donc, mais avant Tchernobyl et Fukushima). Un accident dû à une série d’erreurs humaines et de défaillances du système de refroidissement primaire provoquant une fusion partielle du cœur du réacteur n° 2, entraînant d’énormes rejets radioactifs dans l’environnement. Les femmes enceintes et les jeunes enfants seront évacués au deuxième jour. L’Amérique échappera in extremis à la fusion totale du cœur. L’accident sera postérieurement classé au niveau 5 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires, le niveau 7 — Tchernobyl et Fukushima — en étant le plafond maximum).

Le 28 mars 1979, l’Amérique et le reste de la planète sont passés à deux doigts de la catastrophe. Cette déconvenue va d’ailleurs enrayer durablement l’engouement américain pour le nucléaire. Joints ou même croisés, deux doigts ne protègent cependant pas des catastrophes, il faut juste renoncer à mettre ne serait-ce qu’un seul doigt dans l’engrenage.


Notes

[1] Avec de nombreuses manifestations en France. Dont trois, rien que dans la Sarthe : au Mans (notre article), à Sablé-sur-Sarthe (environ 80 participant·e·s) et même à Sainte-Jamme-sur-Sarthe, rassemblement d’un douzaine de personnes devant la bibliothèque à l’initiative du Collectif pour une vraie loi climat (suivi d’une opération ramarchage).

[2] La CNDP justifie son rôle dans une ritournelle de bonnes intentions à l’initiative des pouvoirs publics simulant une consultation démocratique et participative des citoyens, dont in fine ils ne tiendront absolument pas compte.

[3] Dont ont attend toujours le dépouillement et les mesures validées et mises en œuvre si tant est qu’on ne le soit un jour.

[4] Une présélection (à partir des listes électorales et des listes d’abonnés téléphoniques) de 255 000 appels téléphoniques, d’individus se reconnaissant intéressés par les problèmes d’environnement, qui ont accepté le principe de participer à la CCC et dont au final 150 individus ont été tirés au sort quand les instituts de sondage retiennent un échantillon de mille personnes pour être représentatif du peuple français.

[5] Des pays par ailleurs peu amènes concernant les droits humains en général et des oppositions en particulier.

[6] Ethos 1, puis 2, Core, Sage… Des projets impliquant le Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN), l’Institut national d’agronomie de Paris-Grignon (INAPG), l’Université de technologie de Compiègne (UTC), le groupe d’études Mutadis… présentés comme devant améliorer durablement les conditions de vie des habitants dans un environnement contaminé.

[7] Troisième plus grave accident nucléaire jamais connu (le 29 septembre 1957), tenu secret par les autorités soviétiques et la complicité des pays nucléarisés occidentaux de l’époque.

[8] Plus de 450 essais de bombes nucléaires soviétiques y ont été testées entre 1949 et 1989. Beaucoup des habitants de la ville de Semeï, à 130 km de cette zone, souffrent encore de pathologies lourdes et/ou transmissibles.


Crédit photos : SdN 72.