Retour sur la seconde réunion publique de la CLI Ionisos à Sablé-sur-Sarthe, le 21 mai 2019


Mardi 21 mai 2019, de 18 h 30 à 21 heures – Salle du CFSR « Les Rives de Sablé », à Sablé-sur-Sarthe

Seconde réunion — publique — de la Commission locale d’information (CLI) de l’Installation nucléaire de base (INB) n° 154 (de 2e catégorie) du site — nucléaire — Ionisos de Sablé-sur-Sarthe.

logo détourné de IonisosOui, seconde réunion — ouverte au public — de cette CLI en un temps resserré. Une ouverture réglementairement ­imposée [1]. La précédente s’était tenue le 26 novembre 2019, c’est là : , mais n’avait pas bénéficié de toute la publicité d’annonce souhaitée. Un « écart de conformité » (jargon de la nucléophilie), bienveillamment reconnu et réparé, dont nous donnons quitus. Pour autant, le battage informatif de cette seconde réunion publique n’a pas dépareillée de la précédente. En cause, cette fois, les médias qui n’auraient pas fait le job [2] !
Au risque d’être redondant, nous ne reviendrons pas sur la genèse de la société, son activité passée, son extension… Si vous n’avez encore aucune idée de l’activité de l’unique installation nucléaire de la Sarthe, nous vous conseillons de consulter au moins deux de nos précédents articles, ici :  et là :  et bien sûr le site de la société.

Cette nouvelle rencontre était présidée par Daniel Chevalier, président de la CLI, aussi maire de Juigné, également vice-président du conseil départemental, et, par ordre chronologique, de gauche à droite sur notre photo, Yoann Terliska, chef de sûreté nucléaire à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de Nantes (par intérim [3]) ; Christoph Herkens, président du groupe Ionisos ; Johan Colteau, directeur du site de Sablé ; Sébastien Jonet, expert en sûreté nucléaire du groupe Ionisos, et Gildas Le Guillerm, directeur industriel du site de Sablé. Seulement une dizaine de personnes dans le public. Notons Martial Château, représentant de SNE (Sarthe-Nature-Environnement) à la CLI ; Rémi Mareau, élu d’opposition à Sablé (seul élu — excepté le président — de l’agglomération et de la CLI), de nouveau membre de SdN 72 et des Sabolien·ne·s. Peu !

Publicité des débats

D’entrée, le président de la CLI, Daniel Chevalier interprétera ce détournement d’intérêt de la population comme une absence d’inquiétude à l’égard de l’installation nucléaire à la périphérie de la ville. Fallait-il en tirer un tel satisfecit comme l’a fait l’édile ? On vous laisse libre d’en juger. Avant l’accident, Gorbatchev et Naoto Kan eux aussi étaient sûrs de leur affaire. Après, ils reconsidéreront leurs certitudes à 180° (toutes proportions gardées… les risques, bien réels ici, sont tout de même moindres). Cependant, ni ce manquement médiatique — orchestré ou pas — ni la proximité des élections européennes ne peuvent expliquer à eux seuls le séchage par la vox populi de cette possibilité de démocratie citoyenne qui a aussi ses limites, confère le Grand débat, le PNGMDR (Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs)… Confère encore l’analyse de Sezin Topçu, La France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée, c’est là : .

Du coup cette réunion pourra apparaître comme une redondante resucée de la première. Ce qu’elle a été (retrouvez-la, ici : ) ! Passons les présentations de l’établissement et de l’activité de l’ASN. Alors, qu’en dire qui n’a déjà été dit ?

Prospectives

Nous retenons qu’avec sa première et seconde extension (réception et expédition) et le passage de 2 x 2 quais à 9 quais, Ionisos Sablé n’est plus tributaire de son prestataire de stockage (voisin de l’entreprise). Qu’il lui reste une marge de progression très limitée pour atteindre son maximum de capacité (traitement d’un millier de palettes supplémentaires par an escompté par l’exploitant, en plus des quarante-neuf mille). Le site est aussi limité en espace et bridé à une activité maximale annuelle de 3,5 MCi (million de Curies, ou 13 000 TBq).

Si les marchés de l’agroalimentaire se sont réduit à une peau de chagrin — voire disparus —, ceux des produits médicaux, pharmaceutiques, cosmétiques et emballages ou concernant la réticulation de ceux de la construction et de l’automobile, eux, augurent des possibilités de croissance exponentielle. A contrario du site de Sablé, celui de Pouzauges offre plus de possibilités de progression. Aussi celui de Lyon. Pour l’heure, le groupe n’envisage pas la construction de nouvelles unités, une opération au long cours qui requiert pas loin d’une dizaine d’années pour réunir les autorisations administratives.

Le groupe Ionisos, qui s’est passablement étendu à l’est de l’Europe ces dernières années, se dit être « un grand parmi les petits, mais un petit parmi les grands ». Ses concurrents les plus directs : Stérigénics (dix fois plus grand que Ionisos mais à l’activité plus étendue et diversifiée) ; Stéris, à Marcoule, les deux derniers irradiateurs gamma construit en France (un industriel et un expérimental) ; Gammaster, à Marseille-14e (filiale de Synergy Health, groupe Stéris, présent mondialement, 17 unités dont 13 en Europe) ; BGS, Béta Gamma Services GmbH (3 unités gamma en Allemagne) et d’autres unités dispersées. Eu égard à la demande, les irradiateurs seraient trop peu nombreux. Du coup, une flotte de semi-remorques blindés de « produits » sillonnent toute l’Europe pour trouver un irradiateur idoine et disponible.

Dites la vérité, toute la vérité, rien que…

Les propos de cette réunion se voulaient à tout le moins « rassurant » ! Le PowerPoint (photo) cochait les cinq items conclusifs sur la sûreté du site [4]. Affirmer en 2 que « Les risques nucléaires sont maîtrisés » et en 3 que « Le site n’a jamais connu d’incident nucléaire » paraît toutefois un brin malhonnête. On sait que l’industrie nucléaire aime à se jouer des mots sécurité et sûreté. Il en va de même pour la hiérarchisation des déconvenues : écarts, anomalie, incident, accident, accident majeur. Un exemple : Martial Château (SNE) fera notamment observer que, dans le passé, des sources usées de cobalt 60 sont longuement — entre janvier et mai 2011 précisément — et anormalement restées stockées en extérieur (confirmé par le staff de direction). Sur ce sujet, consulter la lettre de suite de l’ASN, ici : , (Lettres de suite de l’inspection doit être en surbrillance), choisir : Visite générale du 8/11/2011, page 4, puis section A, Demandes d’actions correctives ; A.4, Opérations d’évacuation de sources [5]. Un manquement relevant à la fois de la sécurité et de la sûreté — non classé — qui auraient pourtant mérité de l’être et au-delà d’une  simple « anomalie » — événement sans conséquence mais sortant du régime de fonctionnement autorisé — dans la novlangue nucléophile… Des strates de l’échelle INES graduée de 0 à 7 (8 échelons) que l’ASN elle-même a pourtant déjà utilisé concernant l’unité de Sablé (cf. précédent article sur l’incident de palan classé 1, lien supra).

Ozone, eau de piscine, nappe phréatique, déchets

Le processus de l’activité produit de l’ozone dû à l’ionisation de l’air, qui peut, aux pires moments, s’ajouter aux pics de pollution de ce gaz qu’on connaît aujourd’hui. Sa période d’activité (demi-vie) est de trois jours. On veut le croire, la « zone d’émission est très ventilée » et la présence mesurée d’à peine 0,05 ppm/m3 « bien en dessous des normes de dangerosité ». Cependant, les mesures ne sont effectuées qu’une fois par an à l’intérieur et en limite de propriété à l’extérieur (début janvier, au moment du renouvellement d’une partie des crayons). Martial Château fait remarquer que la ville ne semble pas équipée de capteur d’analyse d’air et souhaite que cette mesure soit retenue et mise en œuvre.

L’entreprise génère des déchets : conventionnels (6 t) ; industriels dangereux (2 t) et nucléaires (flacons, chiffons, gants, contrôles physicochimiques, résine et moyens de filtrage de la piscine) « sans aucune radioactivité »  (sic) mais néanmoins classés TFA (très faible activité) par « sûreté » (30 fûts, environ 3,5 t, résultant d’assemblages cumulés sur plusieurs années), surtout générés en période de rechargement des sources. L’entreprise est en discussion avec l’ASN et l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets) pour leur évacuation, dans le courant de cette année, vers le CIRES (Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage), qui a été situé sur le département de la Marne mais qui doit plutôt être celui de Morvilliers, dans l’Aude. Les sources de cobalt 60 usées, elles, sont retournées au fournisseur (Cisbio International).

L’eau de la piscine et de la nappe phréatique sont contrôlées deux fois par an par un laboratoire agréé, indépendant de son commanditaire. Jamais aucune trace de 60Co n’a été détectée.

Irradiation alimentaire

Plus aucune denrée alimentaire n’est traitée à Sablé, affirme le directeur du groupe Ionisos. Seuls, des épices le sont encore sur d’autres unités. Reste néanmoins, pour le consommateur, des « zones grises » sur les produits importés : cuisses de grenouilles, fruits exotiques, épices (qu’on retrouve forcément dans les produits transformés). Étonnamment, des segments conséquents de consommateurs sollicitent cette technologie en Australie, aux Etats-Unis, en Asie du sud-est et en Russie.

Mesures post Fukushima

Le réexamen décennal de sûreté a été déposé en juin 2015 auprès de l’ASN (un document de 3 600 pages !). À ce jour, il est toujours en cours « d’instruction » (analyse) auprès du gendarme du nucléaire. À l’issue de cette expertise, l’autorisation d’exploitation pour les dix prochaines années pourra être donnée, refusée ou assortie de conditions par l’Autorité.

Le rapport d’activité — annuel — 2018 (article L 591-5 du code de l’environnement), lui, sera achevé et envoyé fin juin 2019 pour validation.

Petite installation, site récent, bien conçu, risques limités, source unique… Le directoire ne semble pas douter de la reconduction de son habilitation. « Oubliez le nucléaire » pourrait être la petite musique de cette réunion publique… L’activité de Ionisos serait « essentiellement logistique » (ces mots ont été dits et projetés). Oubliée la transformation du cobalt 59 (non radioactif) dans un réacteur par bombardement de neutrons thermiques, canadien, russe… en cobalt 60. Oubliés les risques liés aux transports des sources neuves et usées, manutentions et afférentes (chargements, transports maritime et routier, déchargement)… Oubliés les risques d’entreposages supra et d’exploitation sur site [6] ! Oublié…

Risques malveillants

On comprendra que le dispositif ne soit guère détaillé. Seules quelques mesures comme la vidéosurveillance interne et externe de l’établissement, identification du personnel, barrière de filtrage de certains accès, l’entretien à l’embauche ont été fléchés. Le « criblage », pas vraiment ! Or, le lendemain de cette réunion, la presse nous rappelait que tous les nouveaux embauchés du nucléaire, puis les salariés (220 000 travailleurs), plus les sous-traitants amenés à travailler dans une installation nucléaire civile feraient dorénavant l’objet d’une enquête administrative — annuelle — allant bien au-delà d’une enquête de moralité [7]. Dans l’ombre, un service d’environ soixante-dix personnes dépendant de la gendarmerie : le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire. Officiellement créé par un arrêté du 20 juillet 2016, le CoSSeN aura accès à neuf fichiers : le TAJ, Traitement d’antécédents judiciaires ; le FPR, Fichier des personnes recherchées ; le FSPRT, Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste… et six autres encore « plus confidentiels » (si vous les avez, on est preneur) ! Addictions, radicalisations, engagements, fragilités, passé judiciaire, tout y passe ! Ce qui a l’heur d’inquiéter les corps intermédiaires et ouvre — larges — les portes aux licenciements pour « causes réelles et sérieuses » tout en phagocytant une fois de plus les droits et libertés de chacun.

On ne le dit pas assez : le nucléaire n’est ni sûr ni soluble dans la démocratie… une vraie démocratie !

L’ASN, dite gendarme du nucléaire

L’intervenant de l’ASN est longuement revenu sur l’étendue des champs d’investigation du gendarme nucléaire. Laïus un peu laborieux, mais un exercice qui a pu être profitable à moins informé. Dans les clous d’une CLI ! Son insistance sur l’indépendance de cette instance a quand même fait gloser : trois commissaires, dont le président, sont nommés par le Président de la République [8] et deux autres par les présidents du Parlement et du Sénat… Soumise à volonté politique, souvent monochrome et depuis toujours nucléophiles. Aparté par définition hors sujet, mais un sujet quand même ! Comme vous l’avez lu en note 7, nous ajoutons une couche au sortant (Pierre-Franck Chevet) qui l’a bien méritée !

Qu’en dire de synthétique ?

On le voit, la communication et la transparence de l’entreprise s’est sensiblement améliorée depuis l’abandon de l’impopulaire marché agroalimentaire. Un nouveau petit pas devrait être fait prochainement avec la publication des comptes rendus validés de la CLI Ionisos sur le site officiel du département, ce sera là : . Nonobstant, Ionisos « s’arrange » de ses « écarts » dans sa communication.

Après une dépression du marché de l’irradiation agroalimentaire, cette technologie a retrouvé un nouvelle légitimation dans la stérilisation et la débactérisation, notamment médicale et chirurgicale (80 % du chiffre d’affaires). Elle se diversifie maintenant sur le traitement des polymères en optimisant leurs propriétés et performances (réticulation). Il y a fort à craindre que cette technique soit appelée a croître exponentiellement. Et aussi le nombre des prestataires. D’abord en optimisant leurs processus puis en démultipliant les marchés et unités de production. Contingences probables, un risque de multiplication d’irradiateurs, de risques accrus étendus à de nouvelles populations et aux employés comme le confirme les nouvelles mesures de contrôle sécuritaire des personnels à venir (supra).


[1] Autres temps autres mœurs. On se souvient que le même groupe avait refusé de répondre à l’enquête « Aliments irradiés, mauvaises ondes dans nos assiettes ? » d’Aude Rouaux, diffusée sur France 5 le dimanche 15 mars 2015, c’est là : . Malgré l’abandon de l’irradiation de produits alimentaires (dont on se réjouit, mais qui se poursuit ailleurs), l’établissement n’en demeure pas moins une entreprise utilisant une technologie nucléaire à risques, certes moindres que ceux d’une centrale, mais à risques tout de même !

[2] Seuls ont été contactés (sans être relancés) : Les Nouvelles de Sablé, Le Maine libre, le Journal municipal. Quid de : Ouest-France (pas lu par les Saboliens, m’a-t-on rétorqué), France 3, France Bleu Maine, les réseaux sociaux, l’affichage lumineux dans les sucettes de la ville, par voie d’affiche dans le quartier…

[3] Un second membre de l’ASN de Nantes, inspecteur, Stéphane Sibellas, était également présent dans la salle (le titulaire ? [référence à intérim, supra]).

[4] 1/ On se protège simplement des rayonnement ionisants ; 2/ les risques nucléaires sont maîtrisés ; 3/ le site n’a jamais connu d’incident nucléaire ; 4/ pas de risque pour le personnel ou la population : 5/ l’essentiel de l’activité de l’installation est logistique.

[5] L’entreposage et l’évacuation de sources usées mal stockées avaient déjà été précédemment épinglés lors de la visite générale. Sur la même page : Visite générale du 6/9/2010, puis, section B, Complément d’information, suit : B 1, Entreposage des sources radioactives en piscine. Et aussi, lors de la visite générale du 17/11/2010, page 3, puis, section C, Observations, C1, Évacuation des anciennes sources scellées.

[6] Un opérateur irradié par une source de ­60Co lors d’une intervention dans le bunker d’irradiation du site de l’ONERA de Toulouse en 2008 (classé niveau 3). Quatre intervenants irradiés dans une installation d’ionisation de Bulgarie en 2011 (classée niveau 4). Irradiation par une source de 60Co de deux travailleurs intervenant dans une installation de stérilisation par rayonnements ionisants à Porto Rico en 2004 (classée niveau 3). Irradiation d’un opérateur au 60Co dans une installation de stérilisation en Belgique, en 2006 (classée niveau 4). Source ASN :  qui choisir l’échelle INES, puis, page 2 (les classements de niveau 0 et 1 n’y sont pas répertoriés).

[7] Criblage : enquêtes administratives diligentées par les autorités régaliennes sur des personnes à la demande des exploitants avant de les autoriser à pénétrer dans les installations nucléaires.

[8] Depuis novembre 2018, c’est Bernard Doroszczuk qui s’y colle pour six ans, en remplacement de Pierre-Franck Chevet, qui, sitôt la fin de son mandat à l’ASN terminé, candidatera pour la direction d’Engie-Electrabel (Belgique), propriétaire des centrales nucléaires du plat pays dont Engie (France) est actionnaire à 100 %. Question : une personne préméditant de poursuivre sa carrière dans le nucléaire pouvait-elle avoir toute sa liberté critique et d’action en temps que gendarme du nucléaire en France ? On imagine la subtile retenue de ladite personne durant tout son mandat pour ne pas trop froisser ses potentiels futurs employeurs… Il est bien évident qu’on ne nomme à ces postes que des personnes dont on sait — et qui l’ont démontré durant toute leur carrière ­— qu’elles resteront consensuelles, quoi qu’il arrive. Toutefois, l’évident conflit d’intérêts à tôt fait de mettre fin à cette promotion dans le nucléaire de quelqu’un qui était censé le gendarmer.


Photos : SdN 72. Illustration : logo détourné SdN 72 (J-L B).