Il y a 40 ans, les habitant·e·s de Neuvy-le-Roi recalaient le deal nucléaire de leur édile


De septembre 1984 à février 1985 – Neuvy-le-Roi, Maine, sud-est de la Sarthe, nord de l’Indre-et-Loire…

Il y a 40 ans, les Novicien·ne·s recalaient le deal nucléaire de leur édile

Nos voisins et voisines de Neuvy-le-Roi [1] (Indre-et-Loire) fêtent aujourd’hui, lundi 3 février 2025, le 40e anniversaire de leur victoire contre le nucléaire. Une lubie du nouvel édile de la commune l’avait amené à proposer, à leur insu, plusieurs mois auparavant, leur bourgade comme « dépotoir » [2] pour accueillir certains déchets nucléaires de nos centrales. Au terme d’une mobilisation et d’une délibération, les administrés vont en décider autrement !  

Parachuté, mais tout de même élu maire (officiellement sans étiquette, mais en sous-marin du Centre national des indépendants et paysans) en 1983 — sans trop de programme —, Daniel Philippot [3] va vite faire le tour du propriétaire. Dénuement, endettement, cessations d’activités (bistrots, commerces…), exode rural… Lors d’une rencontre fortuite semble t-il avec un cadre responsable de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), il lui semble percevoir une « lumière » au fond des ténèbres que traverse ce gros bourg (980 habitant·e·s à l’époque), par ailleurs chef-lieu de canton. Il lui proposera la candidature spontanée de Neuvy-le-Roi pour y entreposer les déchets nucléaires qu’ailleurs personne ne veut. À la clé, l’imparable miroir aux alouettes des investissements (30 millions de francs), des emplois (un nombre de 140 est avancé), des redevances pour la commune (1,5 million de francs par an), voire le canton [4] ; quand, cerise sur le gâteau, l’achat des consciences n’était pas exclu. À l’époque, déjà, en terme de gouvernance municipale, nul n’ignorait la générosité du «lobby» nucléaire en terme de financement d’équipements vis-à-vis des communes accueillantes et dociles.

Marché tient ! Bien que l’Indre-et-Loire n’ait pas été retenu par l’Andra (supra) en première intention parmi les départements éligibles pour accueillir un centre de stockage radioactif, le projet va malgré tout turbuler côté administration. Le conseil municipal ne fait cependant pas l’unanimité autour du projet-toquade du maire. Et la tension monte dans le village, les échanges passionnants et passionnés s’enveniment, le climat devient délétère et tourmenté. Cependant, la population, partagée au départ, évolue au gré des informations collectées et des arguments avancés de part et d’autre, puis bascule de semaine en semaine au fil des échanges privés et publics. Des associations environnementales vont se constituer à Neuvy et dans certaines communes des alentours. Elles vont prendre position, organiser et participer aux réunions et débats contradictoires avec l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) mais aussi avec — déjà — des « pointures » de la lutte antinucléaire : Didier Anger (militant antinucléaire de la Manche, membre cofondateur des Verts, conseiller régional [1986-2004] et député européen [1989-1991])i; Monique Séné, membre et cofondatrice du Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), etc. Deux de ces confrontations vont réunir près de 400 personnes ! L’ex-Parisien, malhabile, sans guère de pédagogie et pour tout dire mal débourré pour la fonction, sans aucune contiguïté avec la ruralité, prend petit à petit la mesure du ressenti de ses administrés-électeurs mais reste confiant. In fine, il concédera l’organisation d’une consultation référendaire, mais sur l’unique commune de Neuvy, bien que les associations et certaines mairies souhaitaient un élargissement !

Le dimanche 3 février 1985 au soir, la messe est dite : inscrit·e·s : 719, votant·e·s 603, votes exprimés 593 ; pour 211 ; contre, 382 ; 10 bulletins blancs ou nuls. 84 % des inscrit·e·s ont pris part au scrutin, 63 % ont très majoritairement voté contre le projet de centre de stockage de déchets nucléaires sur leur commune (contre 37 % pour). Sûr de son fait jusque-là, le 3 février 1985, Philippot mange son chapeau et retire la candidature de Neuvy-le-Roi. Élu pour une mandature de six ans (de 1983 à 1989), il démissionne en 1988, un an avant la fin de son mandat.

« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » Bertolt Brecht.


Nous reviendrons sur la lutte méconnue de ce territoire contre le singulier projet de « réanimation » de son maire frontiste au long cours (note 3), dans un article qu’on souhaite plus documenté, notamment sur la mobilisation de la population.

Un autre lutte (plus récente et juste un peu plus connue) contre un centre d’enfouissement de déchets radioactifs à proximité du nord-ouest de la Sarthe, à Izé (en Mayenne) dans les flancs du mont Rochard, est consultable ici : .


Notes 

[1] Noviciens et Noviciennes (dans notre titre) est le gentilé des habitant·e·s de Neuvy-le-Roi, bourgade située en Indre-et-Loire, mais à quelques encablures du sud-est de la Sarthe. Distances orthodromiques [à vol d’oiseau] : 16,5 km pour Château-du-Loir ; 14 km pour La Chartre-sur-le Loir ; 11,5 km pour Dissay-sous-Courcillon et 53,5 km pour Le Mans.

[2] Dénomination aujourd’hui désuète. On lui préfère aujourd’hui déchetterie, voire trompeusement, lorsqu’il s’agit de déchets radioactifs : « piscines » accolées à chacun des 57 réacteurs, ou encore « Centres » : Centre de stockage de la Manche (CSM) ; Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) dans l’Aube ; Centre de stockage de l’Aube (CSA) situé à Soulaines-Dhuys (dans l’Aube également) ; ou encore, Centre industriel de stockage géologique (CIGEO) à Bure (à cheval sur la Meuse et la Haute-Marne) sans jamais annoncer la couleur (des déchets radioactifs de faible à très forte activité).

[3] Selon le journal Le Monde, il a été membre du comité central du Front national (FN) et « proche collaborateur de J.-M. Le Pen », décédé récemment. On le retrouvera beaucoup plus tard (en 2015) aux élections régionales en PACA en 25e position sur la liste du candidat Christian Estrosi (Les Républicains)… qu’il quitte, à quelques jours de la clôture des listes, pour rejoindre celle de Marion Maréchal Le Pen qui lui offrait la 11e place. Puis, en 2017-2018, totalement parachuté candidat à la mairie de Saint-André-de-la-Roche (près de Nice) pour le compte de la Confédération nationale des indépendants et paysans du 06, toujours, dont il est le patron, soutenu par le Rassemblement national.

Attention ! Ce Daniel Philippot-là n’a rien à voir avec son homonyme, père de Florian et Damien Philippot qui ont tous les trois été au Front (devenu Rassemblement national) et dont les deux derniers sont désormais chez Les Patriotes, Florian P. en étant le fondateur. Le Front national, sa copie et dérivés sont tous farouchement pronucléaires, anti-éoliens (à terre et en mer), et guère pour les autres EnR.

[4] À l’époque, la Communauté de (10) communes Pays de Racan n’existe pas encore et, moins encore, la CC de Gâtine-Racan.


Photos : SdN72. Dessin de presse de : Io (?) . Article de presse (lettre ouverte) : l’Écho de la vallée du Loir, p. 5. Tout en bas , illustration : Le baron noir, Y. Got et R. Petillon.