Le Mans : un paratonnerre radioactif en déshérence


Vendredi 5 février 2021  –  Le Mans, Sarthe

Le mercredi 27 janvier de ce début d’année 2021, les sapeurs-pompiers du Service départemental  d’incendie et de secours de la Sarthe (SDIS) sont intervenus pour un sinistre peu ordinaire. Un colis suspect, qui crache !

Colis suspect !

Pas de tic-tac à l’intérieur. Ni de trace de poudre blanche assimilable à de l’anthrax. Non ! Une simple caisse en bois qui ne dit rien de son contenu. Réceptionnée là on ne sait trop comment, remisée dans un recoin du centre de traitement des déchets de la SNCF situé au 2 avenue de Bretagne (tout près des archives de la SNCF, entre la zone du Pied-Sec et le quartier du Maroc). À l’intérieur, un paratonnerre. Rien de plus banal. Seulement, la pointe de celui-ci se singularise par un appendice en tête que des employés de l’entrepôt de la SNCF, un peu plus informés, vont soupçonner — à raison — d’être radioactif.

Alertés autour de 10 heures et intervenus en nombre, les sapeurs pompiers de la Cellule mobile d’intervention chimique et radiologique (CMIC), une dizaine d’hommes et quatre véhicules, n’ont pu que confirmer cette présomption et établir un périmètre de sécurité autour dudit paratonnerre. Sa dépose ayant déjà été faite (dans des conditions non précisées), la filiale régionale Ouest du groupe Indelec (entreprise privée de Rennes), titulaire d’un agrément délivré par l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) et en liaison avec l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) s’est vu confier le désossage de l’engin et son reconditionnement en fût dédié. In fine, le colis dument protégé rejoindra le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES) de Morvilliers dans l’Aube. Centre dont l’acronyme, notez-le bien, ne mentionne aucunement sa spécificité d’accueil d’éléments et déchets radioactifs de faible activité à vie longue (FA-VL)…

Comment cette radioactivité a-t-elle été détectée ? d’où provient ce parafoudre, sur quel édifice a-t-il été prélevé ? de quelles information et protection ont bénéficié les opérateurs à la dépose ? depuis combien de temps gît-il à cet endroit ? quel en a été le suivi de son propriétaire, celui de l’ASN, de l’ANDRA, etc. ? La presse n’en a pas pipé mot !

L’interdiction de produire et d’installer ses espars sur les édifices religieux et civils n’est intervenue seulement qu’en 1987 [1]. Mais l’obligation de les déposer n’a été rendu obligatoire qu’en 2008 et n’a concerné que les édifices classés ICPE, Installations classées pour la protection de l’environnement et les établissements accueillant du public. On peut s’étonner qu’ils ne soient pas systématiquement démontés (si nécessaire avec des aides), d’autant que l’efficacité du dispositif est sérieusement mise à mal notamment par l’ASN ! Si Zeus pouvait intercéder auprès de… Jupiter !

En novembre 2016, nous avions traité plus profondément ce dossier des paratonnerres radioactifs à l’occasion de la dépose de celui de l’église Notre-Dame, à Sablé-sur-Sarthe. Nous vous conseillons de vous y reporter, c’est là : .

Stockage radioactif domestique

Les substances, matières, objets et/ou déchets radioactifs sont innombrables [2] et circulent beaucoup [3]. Leur traçabilité difficile, mal cadrée et les possibilités d’en conserver la mémoire (sur des centaines de milliers d’années pour d’aucuns) incertaines, voire, quasi impossibles. Plus de soixante-dix ans qu’on nous assène qu’une solution y sera trouvée. La seule véritablement retenue à ce jour — en France —  est de les soustraire à la visibilité de tous et donc de les dissimuler dans des centres : à La Hague, Morvilliers (supra), Soulaines, Malvesi, Bessines, l’Ecarpière, Marcoule… voire dans les profondeurs de la croûte terrestre à Bure.

Déjà colossaux, les volumes de déchets nucléaires en tout genre et de toutes catégories vont exploser avant même la « mise à l’herbe » des installations nucléaires. Et elles sont nombreuses : Brénilis, SuperPhénix, Chooz, Chinon, Saint-Laurent-Nouans… dernièrement Fesseinheim, auxquelles se rajouteront les cinquante-six autres réacteurs encore en fonctionnement, plus bien d’autres INB militaires, sous-marins, expérimentales, laboratoires de recherche, irradiateurs (cf. notre récent article sur celui de Sablé, ici : )… qui ont toutes vocation à être démantelées un jour.

Aussi, une radioactivité intrusive, dissimulée, contrainte pourrait bientôt s’inviter dans notre quotidien, via nos espaces et outils personnels, professionnels, publics… Nos technocrates utilisent un vocable  elliptique pour caractériser cette opération et bien enfumer leur auditoire : « Le seuil de libération des déchets radioactifs ». Le curseur de tous les possibles. Si EDF a bien (et il le fallait ) fermé Fessenheim (les 22 février et 30 juin 2020, début théorique du démantèlement 2025), l’électricien a aussi dans ses cartons un projet de Technocentre en lieu et place des anciens réacteurs. L’idée avancée est d’y développer une nouvelle activité industrielle de recyclage des déchets nucléaires métalliques issus des démantèlements classés en très faible activité (TFA) et/ou de faible activité (FA). Autant dire une fonderie visant le réemploi des métaux radioactifs dans le bâtiment (pour le ferraillage), l’automobile, en ferblanterie, etc. Ce mauvais exemple de recyclage de ferrailles irradiées en objets usuels existe hélas déjà en Allemagne, en Suède, aux États-Unis… Les textes n’en autorisent pas encore le process en France, mais on nous y prépare implicitement. Une consultation publique d’un mois, close récemment (le 4 février 2021) ne visait rien de moins qu’à « démocratiser » un projet de texte dont la décision, à quelques nuances près, est acquise d’avance (sauf grosse mobilisation qu’on appelle de nos vœux). Les contributeurs avaient à s’exprimer et argumenter sur la « demande au gouvernement de faire évoluer le cadre réglementaire applicable à la gestion des déchets TFA afin d’introduire une nouvelle possibilité de dérogations ciblées permettant, après fusion et décontamination, une valorisation au cas par cas des déchets radioactifs métalliques TFA. » Nous voilà prévenus !

« Rien ne se perd, tout se transforme. » On adhère ! Pas dit qu’ici nous soyons tous fin prêts au retour du  susdit paratonnerre… et de la foultitude de déchets radioactifs présents et à venir dans nos équipements !


Notes

[1] L’arrêté du 11 octobre 1983, seulement applicable au 1er janvier 1987, interdit l’emploi d’éléments radioactifs pour la fabrication, la commercialisation et l’importation des paratonnerres.

[2] Combustibles, déchets nucléaires, rejets des centres et centrales en mer, dans les airs, les fleuves et rivières, démantèlements…

[3] L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dénombre plus de 980 000 colis transportés par an (tous usages confondus rien que pour les activités civiles, les autres sont secret défense…), confère notre précédent article, ici : .


Illustration : SdN 72 (J.-L. B).