Renzo Nucara et le Cracking Art Group au Mans, à la collégiale Saint-Pierre-la-Cour


Février 2015 — au Mans, à la collégiale St-Pierre-la-Cour

Suite logique (pour des Sarthois exclusivement) : escargots, grenouilles… Il fallait répondre : suricates ! Rien à voir avec l’écrin végétal de l’Arche de la nature. Il s’agit, ici, d’une « animalerie » intrusive, bouleversant l’ordinaire de l’espace urbain manceau. Des créatures hors échelle, flashies le jour et lumineuses la nuit (par des leds), qui furent proposées en extérieur (du 18 sept. au 11 oct. 2015) par les artistes William Sweetlove, Marco Veronese et Renzo Nucara, du Cracking Art Group [1].

Mais, pour ce qui nous intéresse, il fallait pousser la porte de l’exposition de leurs travaux personnels à la collégiale Saint-Pierre-la-Cour, en février.

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Les habitants du Mans ont été étonnés par ces trois espèces largement dupliquées dans leur paysage très (trop) minéral de la place des Jacobins… Grenouilles (sur la façade du cinéma Pathé), escargots errants (sur la place du Jet d’Eau ou devant l’enceinte romaine en bord de Sarthe) [2] et une trentaine de suricates (fugueurs) [3] sous le chevet de la cathédrale, fixés sur le mur d’enceinte médiéval. Flashies, clonés, démesurés, incursifs, au message métaphorique. Nullement endémique pour cette dernière espèce surnommée « sentinelle du désert » et très symboliques vigies, anxieuses de tous les dangers à l’horizon. 

Des dangers sur lesquels le Cracking Art Group cherche, depuis sa fondation en 1993, à Biella, dans le nord de l’Italie, à interpeller, éveiller et interpeller, par ses créations et installations au cœur des villes. Cela vous avait échappé ? La deuxième exposition du travail de trois des six artistes de ce même collectif, appelée « Regénération », était effectivement plus évidente. Elle s’est donné à voir tout février 2016 (en intérieur cette fois) à la collégiale Saint-Pierre-la-Cour [4].

Renzo Nucara

Renzo-Nucara-2.jpgDu trio, Renzo Nucara, qu’on devine italien, a plus particulièrement retenu notre attention avec deux pièces (cf. photos) où figure le maléfique et mortifère « panache » d’une bombe atomique (le sujet s’impose sur ce blog, d’où ce texte). Dans leur position de vigilance que nous connaissons tous, les aïeux de nos émotifs suricates (animal, en réalité, du sud-ouest africain) auraient pu en observer quatre dans le centre du Sahara algérien, à Hamoudia, à 50 km de Reggane, perpétrés par la France de 1960 à 1961 (les autres seront souterrains). Ici, l’animal ad hoc eut été la gerboise (petit rongeur). C’est le nom de code donné par les militaires aux essais nucléaires dans ce désert, complété de différentes couleursEntre 1945 et 1980, 520 explosions nucléaires expérimentales ont été effectuées dans l’atmosphère de par le monde, par cinq États : Union soviétique (216), États-Unis (210), France (50 : 4 essais aériens à Reggane, 46 essais aériens à Mururoa et Fangataufa), Chine (23), Royaume-Uni (21), plus sans doute un conjoint (ou pas) de l’Israël et/ou de l’Afrique du Sud. Plus deux « tirs de combat » états-uniens à Hiroshima et Nagasaki. D’où qu’ils soient, tous sont dénoncés ici [5] par cet artiste ! 

Comme une piqûre de rappel, la redoutable et latente menace est présente, voire omniprésente dans l’univers créatif. Depuis toujours ! Comme en témoigne l’œuvre Le Chant du Monde de Jean Lurçat (1892-1966), créée entre 1957 et 1965 et exposée au musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers, c’est là : .

Marco Veronese

C’est le deuxième « rital » de ce trio. Il a lâché la photographie de mode pour intégrer cette technique dans ses compositions philosophico-graphiques, dont des portraits (puisés dans des œuvres de Raphaël, Léonard ou Bronzino) survolés de papillons. Les chemins d’une nouvelle Renaissance, d’une Régénération, face aux menaces écologiques et nucléaires. Confronté au désastre d’une planète au bord de l’asphyxie, son message est clair : « Il faut opérer un choix, on continue ou on arrête de s’autodétruire. » Rappelons ce qu’a dit de son travail le président du Mac, Patrick Bounie, dans la presse locale : « Il défend une nouvelle spiritualité tant artistique que sociale. À travers ses œuvres, il cherche à transformer l’Homme afin qu’il puisse acquérir une certaine sagesse. » Et cette autre appréciation de Ch. Schmitt, puisée sur internet : « Veronese pousse très loin son discours pour nous conduire à un changement radical dans nos façons de vivre. »

William Sweetlove

D’identité belge, lui, il crée plutôt des sculptures en résine illustrant « une vision du monde dont l’ironie est un des éléments constitutifs et la conscience écologique un autre », tout en convoquant l’art comme un contrepoison à la surconsommation et à la surproduction. Hypersensible aux problèmes d’environnement, à la collégiale, Sweetlove alerte plus expressément le public sur la salubrité et le partage de l’eau potable sur la planète. Au point de souhaiter que le pape François s’approprie son Christ porteur d’eau (exposé), au pied calé sur un pack d’eau minérale, et qu’il batte campagne en faveur de cette urgence sanitaire. D’une autre veine, son immense clebs (griffon) en résine rouge, chaussé de baskets, bouteille d’eau sanglée sur le dos, revisite notre secouriste vision du saint-bernard et son salutaire tonnelet de schnaps suspendu au cou.

Dégrossi
À l’avenant, toujours dans une débauche de couleurs, bien d’autres surprises se proposaient à vos imaginaires. Le Cracking Art Group puise son nom de la réaction chimique permettant de transformer des matériaux organiques ou dérivés (pétrole et plastiques récupérés) en matériaux synthétiques, en cassant les molécules : le cracking (craquage). Chemin faisant, la palette s’est élargie aux résines, silicone, plexi…

Convaincu de l’impact social de l’art, il est aussi l’auteur d’un manifeste à l’instar du Futurisme, de l’Arte Povera ou de la Transavantgarde. Extraits : « Le monde est en danger (…) Seul le soleil doit encore servir de source de chaleur (…) Il faut supprimer tous les autres carburants. »

« La beauté sauvera le monde… »

À la vision optimiste du prince Michtine dans l’Idiot de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde », complétée par S. Boulgakov : « Et l’art en est un instrument », nous comptons bien y associer nos modestes voix et peser pour sortir de l’impasse nucléaire sans passer par la case catastrophe. Néanmoins, de la tapisserie contemporaine Le Chant du Monde de Jean Lurçat (cf. supra), visible à Angers [6]), à Andy Warhol qui s’était opposé à la bombe atomique ou le Pop Art à la guerre du Vietnam, au Cracking Art Group, il est plaisant de constater que des artistes demeurent engagés jusqu’à… (double sens !) « s’exposer » en lanceurs d’alerte à l’attention de la seule espèce supposée réceptive aux messages et aux émotions artistiques [7].


[1] Proposée par le MAC (Le Mans arts contemporains) et l’association Entre cours et jardins, avec le concours technique de la ville du Mans et d’entreprises de transport, etc.

[2] Le collectif Cracking Art Group a fait don de deux œuvres (estimées à 20 000 € pièce) à la ville du Mans. L’escargot jaune sera visible devant l’office du tourisme, le blanc temporairement à l’esplanade du bicentenaire puis au verger de la cité Plantagenêt.

[3] Pas moins de sept de ces suricates ont été dérobés et deux retournés plusieurs semaines après.

[4] Exposition du 30 janvier au 29 février 2016, proposée par le Mac (Le Mans Arts contemporains) à la collégiale Saint-Pierre-la-Cour (du jeudi au dimanche), rue des Fossés-Saint-Pierre, avec le soutien de la ville du Mans.

[5] De l’atoll Bikini (23 essais), de Enewetak aux îles Marshall (42) au « coup de maître » états-unien à Hiroshima et Nagasaki, aux plaines du Kazakhstan ou de Nouvelle-Zamble (dont « Tsar Bomba », 3 000 fois Hiroshima, à la moitié de sa puissance !), de l’archipel des Tuamotu (atolls de Fangatoufa et Mururoa), de Lop Nor (Xinjiang) aux îles Monte Bello, Malden, Christmas, etc.

[6] L’hôpital Saint-Jean, remarquable ensemble architectural du XIIe siècle, abrite depuis 1967 Le Chant du Monde, de Jean Lurçat (1957-1966).

[7] Excepté, peut-être, le poisson globe-ballon et ses rosaces… pour séduire les femelles.


Photos : SDN 72.