Le nucléaire russe, mondialement dominant, n’est pas frappé d’embargo !


Mardi 22 août 2023 – Sarthe, France…

Cet article de Martial Château, militant de SdN 72 et coprésident de l’association, a d’abord été écrit pour la revue trimestrielle Sortir du Nucléaire n° 98 (été 2023) du Réseau éponyme, dans le cadre d’un dossier abordant plusieurs aspects de l’état de l’industrie nucléaire à l’international. Nous vous conseillons vivement de vous y reporter, de vous y abonner ou de la retrouver sur nos stands. Passé un bon trimestre, ces articles seront librement accessibles sur le site du Réseau, ici : .

Le temps d’écriture, de bouclage, d’impression et de distribution de la revue passé, l’approvisionnement en uranium de la France s’est encore un peu plus tendu avec le putsch militaire au Niger (fin juillet), induisant de fortes inquiétudes sur l’exploitation de son uranium et son exportation vers l’Hexagone. Le groupe français Orano (ex-Areva), y exploite trois mines, à Aïr, Akokan et Imouraren. L’uranium nigérien pèse 15 % de l’approvisionnement de la France (8 000 tonnes par an en moyenne) et 25 % de celui de l’Union européenne.

Avec l’option nucléaire, nous sommes loin, très loin même, d’une prétendue indépendance énergétique martelée par la nucléocratie (cf. : ci dessous). C’en est même tout le contraire !  

Le nucléaire russe, mondialement dominant, n’est pas frappé d’embargo !

Si l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mené à des sanctions européennes sur le gaz et le charbon russes, le nucléaire, quant à lui, ne semble pas inquiété. Et pour cause : l’industrie russe occupe un rôle stratégique majeur dans le nucléaire mondial, fournissant combustibles et infrastructures à de nombreux États.

L’industrie nucléaire russe dans les grandes lignes  

— 17 réacteurs en fonctionnement, produisant autour de 200 TWh/an, soit 20 % de mix électrique du pays (contre 400 TWh/an, soit 70 % du mix électrique en france) ;

— 3 réacteurs en construction ;

— 10 réacteurs définitivement arrêtés ;

— 2 petits réacteurs SMR (Small modular reactor, ou petit réacteur modulaire) sur barge, au nord de la Sibérie, de performance médiocre ;

— Rosatom, entrepris russe équivalente au regroupement des entreprises françaises Framatome et Orano, construit 21 des 53 réacteurs en chantier à travers le monde : 4 en Chine, en Inde et en Turquie, 3 en Russie, 2 au Bangladesh et en Slovaquie, 1 en Egypte et en Iran ;

— La Russie est un exportateur agressif dans le nucléaire, avec 35 projets de réacteurs au monde, en plus des 21 en cours de construction (supra) ;

— Rosatom assure le tiers de tous les services mondiaux de conversion de l’uranium, dont 40 % de la production d’uranium enrichi civil ;

— La Russie est le seul pays ayant l’infrastructure industrielle permettant d’enrichir l’uranium de retraitement, en particulier celui de la France produit à la Hague. Cet uranium enrichi de retraitement (URT) retourne en France mais 90 % du volume initial devient un déchet très contaminant laissé sur place ;

— La Russie alimente en combustible nucléaire neuf la Slovaquie [1], la Bulgarie, la Tchéquie, la Hongrie, la Finlande (sauf l’EPR) et 30 % des besoins de la France et des USA ;

— L’uranium naturel importé du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan qui alimente 40 % de la consommation française transite par la Russie sous le contrôle de Rosatom.

Malgré la guerre en Ukraine, pas d’embargo !

Depuis mars 2022, la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia  est sous occupation russe.

La demande du Parlement européen d’inclure l’industrie nucléaire dans les sanctions contre la Russie après l’agression de l’Ukraine, le 24 février 2022, est restée sans suite.

L’accord stratégique de coopération signé en décembre 2021 entre Framatome et Rosatom n’a pas été dénoncé. Il se concrétise en particulier par des fournitures par l’entreprise française de composants essentiels pour les réacteurs construits par l’entreprise russe Rosatom,  pour un montant avoisinant le milliard d’euros.

Pourtant, un embargo sur le nucléaire russe, vu le faible nombre d’entreprises du secteur nucléaire, serait beaucoup moins facile à contourner que ne le sont les embargos contre le pétrole et le gaz russes.

Les industries nucléaires civiles et militaires étant très liées, un embargo sur le nucléaire impacterait aussi le nucléaire militaire, armes atomiques et réacteurs de propulsion des navires et sous-marins.

Pourquoi cette absence d’embargo ? L’importation de Russie de près du tiers des combustibles nucléaires neufs indispensables au fonctionnement des centrales nucléaires en France et aux USA ne serait-elle pas la raison ? Surtout qu’aucune alternative immédiate de production n’étant disponible au monde, des réacteurs se retrouveraient à l’arrêt faute de combustible.

                                                                                                                                                                                                        Martial Château


Pour aller plus loin

https://www.sortirdunucleaire.org/Atlas-mondial-de-l-uranium

http://s.42l.fr/ouestfrance-sanctions-nucleaire-russe

http://www.global-chance.org/la-triple-dependance-francaise-en-combustible-nucleaire

http://s.42l.fr/greenpeace-rapport-uranium


Note

[1] Quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une livraison à la Slovaquie de combustible neuf a été effectuée par avion à partir de la Russie avec autorisation de survol de la Biélorussie et de la Pologne !


Illustration : poster « roulette russe » emprunté au site graphique gratuit, https://int.nonukeart.org/. Tableau : « Nuclear/Atomic Energy » de Kevin Larmee.