Stockage de l’énergie électrique


Avant et après 2018 – Partout

Cet article de l’un des nôtres (coprésident de SdN 72) est paru dans la revue trimestrielle du Réseau Sortir du nucléaire n° 79, automne 2018. Notre revue a vingt ans cette année. Hélas ! la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) lui garantit malheureusement de paraître encore quelque temps, à moins qu’on s’investisse tous ensemble dans un véritable changement de paradigme (s’y abonner, c’est là : ).

 Pourquoi stocker de l’énergie électrique

Trois fonctions principales pour le système de production, de transport et de distribution de l’électricité.

1/ Le lissage de la charge

La production électrique doit toujours être égale à la consommation et doit donc en permanence s’adapter à l’évolution des besoins de la consommation sinon la fréquence et la tension électrique sont perturbées. Les conséquences peuvent être des dysfonctionnement d’appareils, voire des coupures d’électricité.

Lorsque la production est supérieure à la consommation, on rétablit l’équilibre en stockant de l’énergie, et réciproquement, lorsque la production est inférieure à la consommation, on rétablit l’équilibre en puisant dans les moyens de stockage.

2/ Le secours

L’arrêt non programmé d’un réacteur nucléaire, une rupture de ligne, un incendie de transformateur… sont des causes de défaillances du réseau électrique qui doivent être palliées quasi instantanément par la mise en service de moyens de production de secours.

3/ L’intégration de sources d’énergies intermittentes

Même si les prévisions météorologiques permettent d’anticiper les niveaux de production de l’éolien et du photovoltaïque, il y a des moments d’excédents de production qui serait perdue en l’absence de moyens de stockage. Et aux moments d’insuffisance de production, les réserves stockées seront restituées, on évite ainsi le recours à d’autres sources de production polluantes (thermique à flamme ou nucléaire). La disponibilité de moyens de stockage régularisant l’offre et la demande devrait aussi limiter les fluctuations du prix de l’électricité.

 Les principaux moyens de stockage

Station de transfert d’énergie par pompage (STEP)

Un réservoir d’eau d’un bassin supérieur permet de stocker de l’énergie potentielle gravitaire. En période de forte demande électrique, l’eau du bassin supérieur alimente une turbine reliée à un alternateur pour produire de l’électricité, pour terminer dans un bassin inférieur. En période de faible demande électrique, où l’électricité est abondante, la turbine réversible pompe l’eau de ce bassin inférieur pour l’acheminer vers le bassin supérieur.

Cette technique est utilisée depuis de nombreuses années. Avec les centrales nucléaires, l’excès de production électrique nocturne est utilisé pour pomper l’eau du bassin inférieur vers le supérieur. La puissance disponible française en Step est de 4.3 GW.

Cette technologie a un bon rendement, les pertes énergétiques sont d’environ 25 % et la mise en service demande dix minutes seulement. Si les potentiels théoriques de développement de cette technologie sont importants, les impacts écologiques de construction de nouveaux réservoirs limitent très largement les nouvelles implantations, surtout après le drame de Sivens.

Volant d’inertie

Le stockage par volant d’inertie consiste à stocker l’électricité sous forme d’énergie cinétique. Un tel système est constitué d’une masse cylindrique fixée à un axe rotatif. Cette masse est entraînée par un moteur électrique en période creuse, pour charger le système en énergie cinétique. En période de décharge, cette énergie cinétique fait tourner un alternateur pour produire de l’électricité. Une fois lancée, la masse continue de tourner par inertie à des vitesses pouvant atteindre 16 000 tours par minute [1].

Ce système a un excellent rendement (moins de 5 % de perte), il peut produire de l’électricité en quelques millisecondes mais il est limité en puissance. Il est cependant très utile pour pallier les pics de consommation brefs comme celui de 19 heures, et il peut être installé au plus près des lieux de consommation.

Stockage par air comprimé : CAES (Compressed Air Energy Storage)

Durant les moments d’excès de production d’électricité, le compresseur comprime l’air pour le stocker dans des réservoirs ou des cavernes souterraines. Cet air comprimé est ensuite envoyé dans une chaudière puis dans une turbine pour produire de l’électricité grâce à un alternateur.

Le rendement de ce type de système n’est pas très bon (50 % de perte), mais des évolutions techniques devraient permettre de l’améliorer.

Stockage sous forme d’hydrogène

Le principe du stockage d’électricité sous forme d’hydrogène repose sur l’électrolyse de l’eau. Celle-ci est effectuée lors des excès de production électrique. L’eau est décomposée en oxygène et en hydrogène. Cet hydrogène est comprimé, liquéfié ou bien stocké sous forme d’hydrure métallique. Cette transformation a un très mauvais rendement (perte supérieur à 50 %).

La transformation inverse, pour réinjecter de l’électricité sur le réseau à partir de l’hydrogène stocké, peut se faire grâce à trois procédés :

— alimenter une pile à combustible,

— synthétiser du gaz naturel par méthanation [2] pour ensuite alimenter une centrale à gaz,

— utiliser l’hydrogène dans une centrale à gaz spécifiquement conçue à cet effet.

Le grand intérêt de cette technique réside dans le fait qu’on dispose des infrastructures de stockage du méthane, à savoir le réseau actuel de stockage et distribution du gaz naturel.

Stockage dans des batteries électrochimiques

Des plaques métalliques insérées dans des solutions ioniques permettent une circulation réversible d’électrons. L’énergie est stockée sous forme chimique. Les rendements sont bons et la mise en service rapide.

Néanmoins la production de batteries nécessite des matériaux coûteux et des processus de production eux-mêmes polluants.

L’hypothèse d’utiliser les batteries des véhicules électriques semble une idée séduisante mais, sachant que les batteries ne peuvent être chargées et déchargées qu’un nombre limité de fois, cet usage risque de raccourcir leur durée de fonctionnement.

Stockage d’électricité sous forme thermique

Cette technique repose sur un cycle thermodynamique lors duquel de l’énergie électrique est emmagasinée sous forme de chaleur dans des matériaux réfractaires portés à haute température puis restituée lorsqu’un besoin de production électrique apparaît (une période de pointe par exemple).

L’installation de stockage comprend deux enceintes pressurisées (une enceinte à haute température et une enceinte à basse température) reliées entre elles par des turbomachines.

Durant la phase de stockage, l’électricité est utilisée pour entraîner une pompe à chaleur qui transfère de la chaleur d’une enceinte basse température à l’enceinte haute température.

Durant la phase de décharge, la chaleur de l’enceinte à haute température est transformée en énergie mécanique par un ensemble turbine-compresseur qui entraîne une génératrice renvoyant l’énergie électrique dans le réseau, puis transférée dans l’enceinte basse température. Les études préliminaires ont montré qu’un rendement global de 70 % est accessible avec les performances des turbomachines existantes (pertes de 30 %).

Conclusion

Les moyens techniques de stockage des excès ponctuels d’électricité existent et il est nécessaire de les développer.

Les investissements dans ces moyens ne seront possibles que par le transfert des milliards aujourd’hui engloutis par le nucléaire et les fossiles.

Le stockage électrique à l’échelle de région devrait aussi limiter le transport d’électricité sur de grandes distances, ce qui limiterait les pertes et éviterait la construction de nouvelles lignes à très haute tension.

                                                                                                                                                                      Martial Château [3]


[1] L’enceinte sous vide et les paliers magnétiques assurent une absence de frottements.

[2] Méthanation : réaction chimique de l’hydrogène sur le gaz carbonique produisant du méthane (gaz « naturel »). Cette réaction dégage beaucoup de chaleur qui peut être utilisée pour améliorer le rendement de l’électrolyse de l’eau.

[3] Martial Château, coprésident de SdN 72, n’est plus administrateur du Réseau Sortir du nucléaire depuis le 13 mai de cette année. Au terme de deux mandats consécutifs comme titulaire, il ne pouvait se représenter (ou alors, comme suppléant).


Illustration : SdN 72 — J-L B. Pas de photos ni d’illustrations de chacun des modes de stockage pour ce billet. Celle et ceux publiés dans la revue Sortir du nucléaire sont hélas protégés par copyright.