Automne 2025 — Le Mans, Sarthe…
L’État a retenu le projet « stratégique » END – Plus (pour Examens non destructifs – Plus [1]) que lui avait soumis Le Mans Université pour l’avenir de la filière nucléaire qu’il a intégré au Programme France 2030. L’arbitrage fait l’unanimité ! À l’IUT forcément, le maire du Mans et président de Le Mans Métropole Le Foll s’en réjouit, le président du département Le Mèner et la présidente de la région Christelle Morançais [2], on se doute… Rien de vraiment nouveau puisque cette formation de l’université qui prépare aux métiers de contrôle (non destructifs, supra) avait été lancée à la rentrée 2023, mais désormais, c’est l’industrie nucléaire qui est plus particulièrement fléchée.
On vous livre quelques-unes de nos réserves !
Retape
La formation en « Évaluation et contrôle non destructifs » retenue est à l’aune des multiples déconvenues de la filière nucléaire française mises en évidence ces dernières années. Les plus informés se souviennent tous de l’année noire d’EDF (2022) qui a vu les corrosions sous contrainte affectant les coudes de tuyauteries se répliquer sur de très nombreux réacteurs. Aussi, « Le projet ECND – Plus ambitionne de former plus de 6 500 apprenants en cinq ans, dont 3 000 professionnels en formation continue, et de sensibiliser 88 000 jeunes dès le collège pour les intéresser à ce métier et élargir le vivier. » On le sait, les universités sont elles aussi à la recherche de financements. Et d’étudiant·e·s ! Les subventions pour charge de service public étant liées à l’effectif. Il en va aussi de leur notoriété et ne sont pas sans se livrer à une farouche compétition, voire à empiéter sur les territoires voisins et/ou leurs domaines de spécificités. Toutes les opportunités sont donc « bonnes » à saisir. En cela, le programme France 2030 est une aubaine ! L’État financera le projet à hauteur de 5,5 M€ ! S’il n’y a rien d’étonnant à ce que Le Mans Université ait candidaté dans ce contexte, qu’en sera-t-il cependant des compétences acquises majoritairement à distance et de la pérennité des formations des apprenants à long terme ?
Infortune
En cette période très compliquée d’élaboration du budget national, alors que – rien que sur l’atome – l’État est devant un mur d’investissement : d’abord six, puis quatorze EPR ; trois nouvelles piscines d’entreposage sous eau des combustibles usés (à la Hague) ; une nouvelle usine de retraitement (idem) et des remises au niveau Fukushima (le programme grand carénage) pour toutes les anciennes centrales qu’on envisage de prolonger jusqu‘à « peut pu », beaucoup s’interrogent sur la capacité du pays à financer ces projets. Dans son livre « Le nucléaire va ruiner la France » (Éditions Seuil-Reporterre), Laure Noualhat nous l’explique tout comme le média en ligne Reporterre (conjointement avec Laure Noualha) qui y a consacré un documentaire-vidéo au titre quasi éponyme « Comment le nucléaire va ruiner la France », c’est là : ▶.
Oiseaux de mauvaise augure
À peine les travaux entamés à Penly et à Gravelines (deux fois deux paires d’EPR), les ennuis commencent. En mars de cette année, Le Monde et Reporterre révélaient que les granulats retenus pour le béton destiné à la construction de la plateforme et de la digue des deux réacteurs du site de Penly, en Seine-Maritime, n’était pas conforme à ce qui était prévu par EDF.
À dix mois du début des excavations programmées pour la construction de la paire d’EPR2 envisagée à Gravelines (Hauts-de-France), l’ASNR se questionne déjà sur la stabilité du sol, nécessitant un renforcement avant la construction des réacteurs.
Deux revers de taille à peine les chantiers commencés ! L’à-peu-près est systémique dans un univers qui ne peut l’être. À l’évidence, les contrôles s’imposent ! On s’achemine tout droit vers une culbute des budgets façon Flamanville 3. Pas dit que les Livrets A (envisagé pour le financement de ces dispendieux programmes) suffiront à alimenter ce énième délire pris en janvier 2022 sans débat à l’Assemblée (ni avec les citoyen·ne·s) par M. Macron surtout que l’épargnant semble plus rigoureux à gérer sa propre trésorerie que ne le font les pouvoirs publics et pourrait se rebiffer. Signer la pétition contre l’utilisation de votre livret A pour financer de nouveaux EPR, c’est là : ▶. Le projet même est-il mûr ? est-il vraiment sage de poursuivre ?
D’autant…
Oui, d’autant que, sur une très longue période dont l’avenir nous dira peut-être s’il n’en est plus rien (ou au contraire s’il en a toujours été ainsi), la filière s’est très largement accommodée des contrôles, surtout quand ils étaient mauvais à foncièrement mauvais, révélait l’ASN le 7 avril 2015. C’est ainsi que les fraudes, falsifications et caviardages des dossiers
de contrôles (jusqu’à 1 775 anomalies pointées) se sont pratiquées assez couramment à la fonderie Creusot Forge (AREVA NP, désormais Framatome) pendant de nombreuses années précédant 2015, c’est là : ▶. On désespère qu’il y ait des poursuites, que la chose soit jugée. Nonobstant, en 2018, l’ASN (ASNR aujourd’hui) autorisait la mise en service de la cuve de l’EPR de Flamanville malgré les anomalies avérées de la composition en carbone de l’acier de la cuve (sous réserve tout de même de réalisation de contrôles spécifiques lors de l’exploitation) qu’EDF s’était auparavant empressée d’installer sachant pertinemment qu’une fois posée et mise en fonctionnement, elle ne pourrait plus être remplacée… La même anomalie carbone impactait aussi son couvercle. Pourtant, pour la seule bonne raison qu’il est réputé amovible, lui sera remplacé. L’opération est programmée à partir de septembre 2026 (parallèlement à l’inspection réglementaire de l’ASNR imposée trente mois après le premier rechargement du combustible). Pas moins de 350 jours d’arrêt sont programmés. Quant au couvercle remplacé, il deviendra un encombrant déchet radioactif !
On ne vous dira rien ici de l’emballement à construire coûte que coûte plusieurs EPR sans se donner le recul du « retour sur expérience ». Le défaut de conception de la cuve constaté sur le premier EPR à produire à Taishan 1, en Chine, a ainsi été dupliqué au moins trois fois, les cuves étant forgées longtemps auparavant sans attendre ce retour d’expérience qui aurait du être celui de Olkiluoto 3 en Finlande si les travaux ne s’étaient pas éternisés comme à Flamanville.
Ne voir qu’une tête !
Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait tomber la fièvre, c’est pourtant l’opération qu’a fomentée l’administration Macron en 2024 en diluant l’IRSN dans l’ASN. Les instances de contrôle elles-mêmes — l’ex-Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) — ont été reformatées dans un nouveau cadre plus consensuel dit « Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection » (ASNR). Avec, à sa présidence (un signe clair), Marie Abadie, un transfuge de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs)…
Héritage des comités Théodule du perfide de Gaulle inspirés de Clemenceau, qui, malicieusement, goguenardait : « Quand je veux enterrer une affaire, je crée une commission », notre pays s’est singularisé en créant pléthore de structures, organismes, commissions… qui produisent des rapports dont les décideurs s’affranchissent sans autre procès dès lors qu’ils entravent la poursuite du nucléaire. Ainsi, la Commission nationale du débat public (CNDP) court-circuitée par le début de chantier à Penly avant même l’ouverture de sa consultation, la Convention citoyenne pour le climat, etc. Devenus subitement illisibles, l’État envisage également de faire du ménage concernant un tiers des agences et opérateurs de l’État qu’il veut supprimer ou fusionner (comme l’Ademe, le Conservatoire du littoral, les ANSES… ou encore Météo France, le CNRS, l’INSERM).
Le reste à charge
Le maintien et l’acquisition de compétences dans le domaine des ECND (supra) ne sont évidemment pas inutiles [3]. Cependant, l’intention évidente de l’État est d’abord de multiplier les usages électriques, prétexte à augmenter la production pour maintenir et pérenniser l’activité nucléaire, mais aussi et surtout d’améliorer considérablement son facteur de charge [4] en net recul (recul qui pourrait s’aggraver notamment avec la prolongation des vieux réacteurs). Pas d’envisager une sortie maîtrisée ni d’anticiper l’avenir des démantèlements reportés aux calendes grecques, à l’image des nombreux réacteurs arrêtés mais dont on ne sait pas encore en démanteler les cœurs (Brennilis, à l’horizon 2041 au mieux), Saint-Laurent-des-Eaux/Nouans A1 et A2, Bugey, Marcoule 1, 2, 3 ; Chinon 1, 2 ,3 (le démantèlement de ces réacteurs Graphite Gaz a été différé au 22e siècle]) ; Superphénix, Fessenheim, etc.
Pourtant, un temps, la France s’est voulu nation pilote en démantèlement de réacteurs. Un flop total ! Elle s’est aussi imaginée exportatrice de centrales et d’EPR en particulier et se voit fréquemment de nombreux potentiels clients qui peinent à concrétiser leurs dites options. Sa diplomatie européenne est largement conduite pour coaliser des pays autour de son projet non dissimulé de leur vendre des centrales (dont certains retiennent plutôt la Corée, les Etats-Unis, voire la Russie plutôt que la patrie d’adoption de Marie Curie) et décrocher des financements de l’Europe. Veut-elle aussi être le chantre de la formation aux examens et contrôles non destructifs de l’Europe ?
Qu’en conclure ?
Si ce n’est pas simple de répondre à cette info qui concerne les techniques d’investigations non destructives qui peuvent concerner de nouvelles installations mais aussi la sûreté de celles plus anciennes jusqu’à l’incommensurable chantier des démantèlements à venir, il est patent que des industriels ont sciemment validés des pièces contrefaites, trompé et abusé l’électricien, que les instances — Autorité·s — ont parfois malgré tout validées. N’en ignorant rien, présidents et gouvernements successifs se sont affranchis de ses contrôles contrefaits qui entravaient leur fuite en avant dans toujours plus de nucléaire.
Pour paraphraser Macron, tout cela coûte « un pognon de dingue » qui fait forcément défaut ailleurs et pas qu’aux EnR (pourtant moins chères que l’atome) ! Que des contrôles soient destructifs ou pas destructifs, il ferait beau d’abord, de s’engager à fermement tenir compte des résultats… « quoi qu’il en coûte » !
Notes
[1] Quelques techniques de contrôles non destructifs : le ressuage, les ultrasons, la radiographie X et Gamma, les courants de Foucault, la magnétoscopie, la thermographie, etc. Ils concernent l’industrie nucléaire, pour les chaudières, tuyauterie, turbines… mais aussi les autres industries énergétiques, pétrolières, sidérurgiques, navales, aéronautique et spatiales, etc.
[2] La région des Pays de la Loire est l’une des trois régions partenaires de cette formation. Si elle n’a pas de réacteurs nucléaires sur son territoire, elle a par contre une industrie navale militaire (Naval Group), de recherche (le CEA), etc. largement financée par la région, comme l’a documenté Damien Renault dans son livre Le nucléaire subventionné en régions — Enquête en Régions — Enquête en Pays de la Loire, c’est là : ▶.
[3] Les formations pour Examens non destructifs est proposée à l’IUT du Mans depuis la rentrée 2023. Dans le cadre du projet « Autend », elle collabore d’ailleurs avec Omexom au développement d’une solution d’identification automatique des tubes sains (sans les altérer) des générateurs de vapeur, via l’IA. La nouvelle philosophie de la filière nucléaire est maintenant de détecter, réparer, changer, sans, autant que possible, interrompre la production.
[4] Facteur de charge moyen et peu glorieux du parc nucléaire français. Sans même parler de 2022 qui avait vu 24 réacteurs arrêtés sur plusieurs semaines. Notre pitoyable Sarthoise par intermittence, ex-directrice d’Areva de 2001 à 2011, qui l’a créé, ruiné, coulé — Anne Lauvergeon — s’est même permise de railler EDF : « Le facteur de charge des réacteurs d’EDF est parmi les plus mauvais des trente-trois pays qui produisent de l’énergie nucléaire » dans son livre Un secret si bien gardé, sorti en avril 2025.
Vignette et illustration : détournement du logo ECND, SdN 72. Dessins de presse : « C’est quoi ce truc » pas identifié (désolé), « Tout est prévu » Vera Makina (Le Canard Enchaîné).
