« Les résistants » (à EDF) de Sein s’exposent à Allonnes


Du mardi 5 mars au dimanche 31 mars 2019 – À la médiathèque Louise-Michel, à Allonnes

Chaque printemps, au Mans, c’est le retour des Photographiques. L’édition 2019 mettait l’accent sur la condition humaine. De toutes les excellentes et singulières expositions de ce millésime, nous avons retenu celle de Christophe Hargoues, invité de la médiathèque Louise-Michel, d’Allonnes, pour sa série Les résistants (catégorie portraits), et — vous le comprendrez aisément — pour son sujet en adéquations avec notre marotte, la transition énergétique.

Ces résistants-là n’ont rien de ceux de quarante qui avaient courageusement rejoint Londres à la toute première heure. Eux résistent au réchauffement climatique, à la montée des océans, au risque de submersion de leur pays confetti. Cette guerre-là aussi est mondiale !

Les résistants portraitisés par Christophe Hargoues, eux, ce sont attaqués à la transition énergétique de l’île de Sein, dans le Finistère. Alors que l’atoll est laminé par le vent, la houle, les rais du soleil, c’est une centrale au fioul dotée de trois groupes électrogènes qui génère l’électricité consommée par les (plus ou moins) 189 âmes qui l’habitent l’hiver et le millier et demi de visiteurs et résidants/vacanciers qui se disputent le caillou l’été. 420 000 litres/an, 1 200 t de CO², particules fines… Et un surcoût — global [1] — qui entame un quart de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), Une goutte d’eau dans l’immensité de la mer océane, certes, mais un retour perdant de la planète surchauffée à ce gaz à effet de serre sans compter les innombrables autres cochonsetés. Changer de cap, pour eux et pour nous tous, c’est d’abord un signal !

Fort de ce constat, une poignée de Sénans ont collectivement pensé et conçu un projet alternatif, utilisant les éléments naturels (vent, soleil, courants) porté par une majorité de citoyen·ne·s insulaires (40 sur 66), déterminés, inflexibles, réunis au sein de la société IDSE (Île de Sein Énergie) qu’il ont créée en 2008.

Mais c’était sans compter sur l’immobilisme de l’establishment et d’EDF. Jamais à cours de déconvenues pour garder la main, elle invoquera la sécurité du réseau, le risque de rupture de fournitures, l’absence de stockage… Insoluble ? À se demander comment y sont parvenus nos voisins (cf. Ailleurs… infra). Tenaces, les susdits Sénans n’entendent pas lâcher le morceau et n’ont pas dit leur dernier mot. Plusieurs recours sont toujours en demeure devant les tribunaux nationaux et internationaux.

Pour en savoir un peu plus sur leur courageux combat, reportez-vous à l’excellentissime article de Louis Germain paru dans le Journal de l’énergie du 19 février 2015, c’est ici :  et le non moins excellentissime (et plus complet) article de notre revue nationale Sortir du nucléaire n° 72 (hiver 2017), p. 25 et 26, c’est là : ).

Les images, portraits d’îliens engagés ou sympathisants, accompagnées de vues des éléments en mouvement illustrant ce combat, restent soumises à vos regards jusqu’au 31 mars, à la médiathèque Louise-Michel d’Allonnes.

Cartel

Ces poignants portraits de Sénans lambdas vous sont proposés par l’artiste photographe Christophe Hargoues. Né à Montpellier en 1973, il vit et travaille sur Paris. Après une première vie professionnelle forestière, il… sort du bois et entre en photographie en 2007. Progressivement, il alterne les commandes, essentiellement dans la photographie sociale et ses travaux personnels orientés naturellement vers des univers graphiques et composés, parfois décalés et teintés d’humour et de poésie. Le festival l’avait déjà reçu en 2017 pour sa série « EXTRA/ordinaire ».

Présentation par Les Photographiques

« L’île de Sein est un caillou de 58 ha au large de la pointe du Raz, d’une altitude moyenne d’un mètre cinquante où un millier de personnes séjournent l’été et 120 îliens y vivent l’hiver.

Lorsqu’on habite sur ce confetti, on devient très vite humble face aux éléments. Les violentes tempêtes des dix dernières années ont ouvert des brèches non seulement dans les digues de protection, mais également dans les consciences des habitants face à l’urgence climatique.

Paradoxalement, l’île de Sein n’est pas un modèle de vertu écologique. N’étant pas rattachée au continent pour son alimentation en électricité, c’est une centrale au fioul gérée par EDF qui, brûlant plus de 400 000 litres de fioul, fournit de l’électricité pour les besoins des îliens, conduisant ainsi à rejeter plus de 1 200 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Pourtant, l’énergie est là, disponible, illimitée : du vent, des courants marins, du soleil.

Partant de ce constat d’évidence, certains habitants de l’île ont décidé de se mobiliser et d’agir en constituant, en 2013, une société pour passer aux énergies renouvelables, s’affranchir du fioul et gagner l’indépendance énergétique. Mais l’opérateur national qui détient le monopole s’y oppose fortement. La bataille est désormais sur le terrain juridique avec des recours nationaux et européens.

Réalisée entre novembre 2016 et février 2018, cette série de portraits de sociétaires, d’adhérents, ou de simples sympathisants du projet énergie IDSE, veut être une photographie originale d’un groupe de personnes atypiques qui, amoureux de leur territoire, prennent leur destin en main. »

Ailleurs, l’air et l’herbe sont plus verts

Certes, c’est un lieu commun de pointer les retards de la transition énergétique de la France. Nous y succombons cette fois encore. Trois îles européennes sont aujourd’hui autonomes grâce aux énergies renouvelables. La plus grande, l’île espagnole des Canaries, El Hierro, de 8 000 habitants, exploite un système 100 % renouvelable à partir de cinq éoliennes couplées à une station de transfert d’énergie hydroélectrique en amont et complété par du photovoltaïque… depuis 2014. Une réalisation honorée à Paris du Trophée des énergies renouvelables le 12 février 2015 par la ministre Ségolène Royal [2]. La seconde, l’île Samsø, au Danemark, de 4 100 habitants, conjugue éolien et réseau de chaleur [bois et solaire thermique]). Enfin, l’île d’Eigg, en Écosse, de 90 habitants, combine isolation des bâtiments, barrages au fil de l’eau, éoliennes, photovoltaïque, chauffage au bois…

Du retard à l’allumage : Ouessant (ajouté le 24/5/2019)

De tous ces atermoiements franco-français, certains industriels privés en ont piqué un… « Phares ». Un projet qui pourrait alimenter et décarboner, d’ici à 2022-2023, 70 % de la consommation ouessantine (de 2 millions de litres de fioul par an en moyenne aujourd’hui pour une population de 800 habitants). Ce projet prévoit de conjoindre trois énergies renouvelables : deux hydroliennes, une éolienne terrestre et un parc solaire photovoltaïque reliés à un système de stockage d’énergie porté par EDF SEI. Pour la première phase hydroélectrique, les entreprises Sabella, de Quimper, et Akuo Energy (qui a remplacé Engie) sont à la manœuvre. Désormais liées par une convention (depuis le 22 mai), les deux sociétés réalisent actuellement les études en vue du dépôt des demandes administratives.

Sans vouloir jouer les Cassandre, rappelons toutefois que d’innombrables projets concernant l’éolien offshore et l’hydrolien ont eu des revers ou sont retardés, quand des filières et des industries n’ont pas été abandonnées ou été revendues.

S’y précipiter…

Désolé de ses digressions plus portées sur le sujet traité qu’à l’approche sensible et plastique des compositions. Retour aux artistes du festival ! Ils sont tous à voir, évidemment. Sur l’approche environnementale, nous signalerons néanmoins Bohpal leur colle à la peau (sur l’explosion d’une usine de pesticides en Inde en 1984) d’Isabeau de Rouffignac, à la salle Paul-Courboulay.

Merci à l’ensemble des autrices et auteurs photographes pour ces clichés qui, loin de ceux qui figent, enferment, excluent, stigmatisent… nous libèrent. Le site des Phographiques, c’est là : .


[1] L’ensemble des îles françaises non raccordées au réseau électrique continental coûtent en fioul et marginalement en charbon… près de 27 % des recettes de la CSPE, excusez du peu. Là, on n’entend moins les opposants aux éoliennes qui pourfendent la petite part de soutien de la CSPE aux EnR le souligner.

[2] Qui ­— exception faite à la Réunion peut-être — ­n’a pris aucune mesure permettant aux îles françaises d’envisager une mise en adéquation avec sa déclaration à l’AFP du 9 janvier 2015 : « Tous les territoires insulaires doivent avoir le droit de monter des projets d’autonomie énergétique. »


Photo : Les Photographiques (copie d’image).