Ciné-débat : « Le couvercle du soleil », au Mans


Samedi 21 avril 2018 – Au cinéma « Le Colisée » du Mans

Cette année, pour rappeler deux des plus sérieuses catastrophes du nucléaire civil (mais il y en eut d’autres) que sont Fukushima et Tchernobyl (le 11 mars 2011 et le 26 avril 1986), SdN 72 avait choisi d’intervenir autrement que dans la rue.

La conjonction de la visite (non officielle) de Naoto Kan en France [1] et la sortie du film Le Couvercle du soleil de Futoshi Sato (en VOSTF [2]) a fait le reste.

« Fièvre » du samedi soir

Après une précédente projection du film La bombe et nous quinze jours auparavant sur le nucléaire militaire, c’est là : , pour la seconde fois, le cinéma le Colisée a accepté d’être partenaire de cette soirée proposée par SdN 72.

À la suite de la projection, les « rescapé·e·s » ont pu participer au débat (cf. plus loin) avec le journaliste franco-japonais Kolin Koyabashi [3], aussi militant d’Écoéchange [4] et organisateur de la visite de Naoto Kan en France [cf. note 1]. Les moins saturés ont également pu profiter de notre table de presse.

Synopsis du film

Le film nous introduit à la résidence du Premier ministre japonais dans les coulisses de la gestion de crise des cinq jours qui ont suivi le Grand séisme du Tohoku, du tsunami et de la triple catastrophe nucléaire de Fukushima, le 11 mars 2011. L’équipe de Naoto Kan, Premier ministre au moment de la catastrophe, en a reconstitué tous les avatars qui ont donné matière à ce film..

Drame politique qui se définit incontestablement comme une quête de la vérité

« Cinq ans (sept désormais) ont passé depuis l’accident de Fukushima. L’abondance de témoignages, d’informations, de documentaires et de rapports ont laissé croire que la lumière était faite. Mais la mémoire s’est vite altérée et l’accident nucléaire est en passe d’être enterré, sans que la vérité ne soit révélée. L’analyse des rapports et documents et les reportages de la zone sinistrée nous éclairent sur le rôle des protagonistes de la gestion de crise, des politiciens et des journalistes. Au bout de cinq ans, enfin la vérité sur ces journées terrifiantes.

Grand séisme du Tohoku et catastrophe nucléaire de Fukushima, le 11 mars et les cinq jours d’après. Un journaliste acharné, personnage clé, dans sa course à l’information face à l’administration de Naoto Kan à la résidence officielle. En arrière-fond, les visages de gens de Tokyo et de Fukushima s’entrecroisent. Les membres du cabinet apparaissent sous leur véritable identité. La chronologie de l’accident et sa gestion sont scrupuleusement retracées. Les informations sont chaotiques, et des hommes doivent gérer, dans une tension extrême, une situation critique limite.

Le jour où « la pire crise de l’histoire » est arrivée, que se passait-il à la résidence du Premier ministre ? Une fiction journalistique puissante où les ministres de l’époque apparaissent sous leur véritables nom !

Véritable drame humain, ce film dévoile les images réalistes de la résidence officielle au moment le plus crucial. Le décalage entre les habitants de Fukushima au cœur du drame, les médias au cœur de la confusion, et les habitants de Tokyo, laisse deviner la fracture des Japonais quant à cet accident nucléaire. Dans le rôle principal du journaliste Nabeshima, l’acteur incontournable au Japon tant au cinéma qu’ à la TV ou sur les planches, Yukiya Kitamura ; dans celui de Naoto Kan, l’éminent acteur Kunihiko Mitamura ; tous deux donnent au film une portée incontestable. »

Échanges

Passé l’accablement, les participants sont évidemment revenus sur l’imprévision totale de TOPI (cryptonyme de TEPCO), soulignée dans le film. La prévalence de ses priorités économiques sur la sécurité (hauteur de digue, niveau de la centrale réduite de 30 à 10 mètres, par ex.). Raillées aussi l’improvisation, l’impéritie et les déconvenues concernant les possibilités d’interventions techniques de secours ou de sauvegarde envisagées ou entreprises (relâchés radioactifs dans l’atmosphère, matériels incompatibles) !

Y seront également abordées les évaluations technique, sanitaire, politique, sept années après. Le retour économiquement contraint des évacués ou sous la désinformation de programmes comme Ethos, Mutadis, etc. L’information et la perception de cet accident par un peuple déjà touché par deux désastres atomiques (Hiroshima et Nagasaki). L’élection au suffrage indirect de Shinzō Abe (nationaliste pronucléaire civil et… militaire).

Une heure durant, un va et vient permanent a évidemment été fait avec les « grandeur et décadences » du parc nucléaire français. Saluons les retours et ressentis des contributeurs de ces échanges, et parents de ressortissants restés sur place quand ceux d’Amérique étaient rapatriés [5]

Au-delà subsiste un sérieux doute sur une garantie à se prémunir de tout risque avec l’énergie nucléaire. Et il y a matière à penser et à dénoncer. Voyons ça !

Un train peut en cacher un autre

Ce film jette aussi des regards critiques sur une foi démesurée dans la technique et la confiance qu’elle confère aux technocrates censés bien la connaître et la maîtriser. Partant, toute gouvernance est complètement assujettie aux informations et éléments de langage de l’appareil technocratique qu’il dispense d’abord pour lui-même et sa propre survie, usant de la rétention, de la manipulation et/ou de la falsification de cette information, voilant toute réalité objective. Dans Le couvercle du soleil, TOPI (supra) a allègrement franchi ces frontières. Résultat de la gestion de crise : une grande naïveté politique et une immense duperie de l’entreprise privée TOPI. Vexée de s’être vu retirer son portefeuille de ministre de l’environnement par François Hollande en 2013, Delphine Batho ne le disait pas autrement : « Ce n’est pas l’État qui dirige EDF, mais à l’inverse, le patron d’EDF qui semble diriger l’État. » Le politique, accolé au mix — service (dit) public-privé — ne nous préserve hélas de rien.

Ainsi, dans le passé, a t-on dissimulé aux Français·es deux accidents majeurs sur les réacteurs A1/EDF4 et A2/EDF5 de Saint-Laurent-des-Eaux (en 1969 et 1980). Et, le nuage radioactif venu de Tchernobyl en mars 1986 s’était même arrêté aux frontières du pays selon le Pr Pierre Pellerin du SCPRI, Service central de protection contre les rayons ionisants (même s’il s’agit, ici, d’un raccourci journalistique). Sans parler de l’inondation de la centrale du Blayais, fin 1999, et les péripéties à la suite qui nous ont fait passer à deux doigts de la catastrophe, c’est là : .

Autres temps, autres mœurs ? Du tout !

— Au milieu des années 2010-2020, on apprend que l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l‘EPR de Flamanville, forgée par Saint-Marcel – Le Creusot, pourrait dépasser les normes de concentration de carbone de manière rédhibitoire. Contrôle qui s’étalera sur plusieurs mois !

— Seconde surprise, on apprend tardivement que, dès 2005, l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) française avait alerté EDF, puis Areva, que la susdite usine Creusot Forge connaissait de sérieux problèmes de qualité. La fabrication de chaudières nucléaires lui seront néanmoins confiées. Celle de Flamanville y sera forgée entre septembre 2006 et décembre 2007. En dépit de tout principe de précaution, elle sera aussi enchâssée au sein du réacteur (24 janvier 2014) tout en sachant pertinemment qu’on ne pourra pas l’en retirer (sauf à très grands frais) [6] si l ‘ASN lui refusait son agrément (une opération totalement exclue après sa mise en service) !

— Fin décembre 2015 (le 30), l’État lui-même (sous le gouvernement Valls) avait juridiquement arrangé l’affaire en passant un arrêté taillé sur mesure pour la cuve de l‘EPR de Flamanville, permettant une procédure dérogatoire (sur autorisation de l‘ASN) pour les équipements sous pression ne répondant pas aux exigences de qualité !

— La boucle est bouclée le 11 octobre 2017 lorsque l ‘ASN rend son avis définitif, validant le couvercle et la calotte de fond de cuve de l ‘EPR de Flamanville, malgré le carbone de son acier dépassant les standards requis pour un équipement en exclusion de rupture, aux seuls réserves d’un changement du couvercle d’ici 2024 et d’une surveillance accrue du fond de cuve.

— Le 23 mars 2017 (en pleine période électorale), l’autorisation de la création de l‘INB, Installation nucléaire de base Flamanville 3, arrivant à échéance, par décret, le Premier ministre Cazeneuve porte à treize ans au lieu de dix (mars 2020) le délai de mise en service du susdit EPR (escamotant au passage la nécessité d’une nouvelle enquête d’utilité publique également due au changement de la nature du combustible, passé de l’uranium au mox) !

— Toujours plus déconcertant, la découverte chez Creusot Forge de documents falsifiés [7] couvrant des « anomalies dans le suivi des fabrications » sur des composants en service sur le parc électronucléaire français existant (idem, le sidérurgiste nippon Kobe Steele, qui a aussi pour client le secteur nucléaire).

— Puisqu’il faut bien clore cette liste inépuisable des petits, gros et graves arrangements dans les processus du nucléaire, concluons avec les mensonges de l’Andra sur « la réversibilité » du centre d’enfouissement CIGéo…

État, entreprise privée, service public : tout le monde triche, tout le monde tripatouille ! Roulés dans la farine aujourd’hui, nous le serions d’autant plus demain en cas d’accident ! Comme au Japon. Ce qu’à Dieu ne plaise !


[1] Ex-Premier ministre du Japon au moment de la catastrophe de Fukushima et désormais repenti du nucléaire. Sa visite (non officielle) en France est là : .

[2] En VOSTF, version originale sous-titrée en français, (courte) de 90 mn. La version originale de 2016 « Taiyo no futa » en fait 130 !

[3] Kolin Kobayashi (69 ans) est originaire de Tokyo. Il vit et travaille dans la région parisienne depuis 1970. Journaliste indépendant et écrivain, il est le correspondant de la revue Days Japan (depuis 2005). Il est président de l’association ÉCHO Échanges [re-note 4]. Il a aussi été le facilitateur et membre du comité d’organisation du Forum social mondial antinucléaire à Tokyo en mars 2016, et de celui de novembre 2017 à Paris (avec Martial Château et quelques autres), c’est là : . Dernièrement, c’est encore lui qui a organisé la visite en France de Naoto Kan (du 12 au 16 mars, 2018), ancien Premier ministre japonais en exercice au moment de la catastrophe de Fukushima, et depuis devenu un « indien contraire » du nucléaire. Sur notre site, sa visite est là : .

[4] Écoéchange (mail) : echoechanges@wanadoo.fr. Site internet : sans, sauf avis contraire.

[5] Très pronucléaire et politiquement intéressé par son image internationale, Nicolas Sarkozy s’invitera à Tokyo le 31 mars 2011. En pleine catastrophe, il y soulignera que « le nucléaire civil restait une source d’énergie viable et nécessaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ».

[6] Et malgré la manifestation des 1er et 2 octobre 2016 à Flamanville et l’action de Greenpeace et du CRILAN lors de son acheminement.

[7] Qu’on appelle aussi, curiosité de la langue française, forgeries…


Affiche : reprise du visuel du film par le cinéma Le Colisée (pour agrandir, cliquer dessus). Crédit photo : SdN 72. Ci-dessous : coupure de presse du journal Ouest-France du samedi 21 avril 2018 (en région Pays de la Loire).