Ciné-débat : « La bombe et nous » à La Flèche, le lundi 29 janvier


Lundi 29 janvier 2018, à La Flèche, au cinéma Le Kid (au Mans le 7 avril, au cinéma Le Colisée).

Aussi souvent qu’il le peut, le groupe SdN 72 pointe l’intime lien entre le nucléaire civil et militaire [1]. Militaire puis civil, au calendrier de l’atome ! Une chronologie d’abord marquée d’une course effrénée pour sa maîtrise avant l’Allemagne nazie, puis par l’irrépressible volonté — politico-géostratégique — de s’imposer mondialement au prix de la double vitrification d’Hiroshima et de Nagasaki. Viendra ensuite le temps de proliférer et de catastropher en chaîne [2], ici et là, tant pour des usages civils que militaires.

Sur la décennie, c’est sans doute la première intervention — spécifique — de SdN 72 sur le nucléaire militaire, mais nous n’avons pas, hélas, la mémoire locale de cette septuagénaire opposition à l’atome. La seconde sera en avril au Mans (infra).

Le quatrième mur

Au cinéma Le Kid, àLla Flèche, plus d’une trentaine de Fléchois·es et résidants de la périphérie ont préféré ce moment de réflexion proposé par SdN 72, par l’entremise de ce documentaire, à toute autre activité, jobarderie et/ou prêt-à-penser abondamment disponible en soirée.

En introduction, le film La bombe et nous, de Xavier-Marie Bonnot, suivi d’un débat avec deux intervenants : Dominique Lalanne, physicien nucléaire, d’Abolition des armes nucléaires, c’est ici : , et Gérard Halie (Fléchois d’origine), du Mouvement de la Paix, c’est là : (cf. ci-dessous), aussi membres de l’ICAN : et négociateurs avec d’autres, chacun pour sa structure, du Traité d’interdiction de l’arme nucléaire [3] adopté en juillet (le 7, à New York) par 122 des 192 pays membres de l’ONU. Une campagne qui a d’ailleurs valu à l’ICAN le Prix Nobel de la Paix 2017 . Terminé simultanément à cet accessit, le documentaire aborde peu ce nouveau paramètre — et outil à venir — totalement au bénéfice des partisans du désarmement nucléaire.

Le film

Bien qu’il prenne clairement position pour l’abolition, le film porte l’expression des nuances et de la complexité. D’autres acteurs, partisans du maintien du dispositif nucléaire militaire, y ont aussi la parole.

En France, c’est un sujet tabou, domaine exclusif d’un seul homme : le président de la République. Et encore, à peine est-il effleuré d’une phrase lors des campagnes présidentielles. L’éloignement de la guerre froide et cette omerta persistante ont pratiquement effacé l’arme atomique de la mémoire collective.

Mais l’équilibre de la terreur et son piège mortel subsistent. Parmi les 15 000 bombes de l’arsenal nucléaire mondial, 5 000 sont en permanence prêtes à partir. L’épisode Trump-Corée du Nord nous rappelle que cette épée de Damoclès est toujours suspendue au-dessus de nos têtes. Est-il raisonnable de continuer sans même l’ombre d’un débat citoyen ?

Cent vingt-deux États ont voté le Traité d’interdiction de l’arme nucléaire. L’ICAN [3], qui en est à l’origine, a reçu le Prix Nobel de la Paix 2017. Peut-on continuer de faire comme si rien de tout cela n’était arrivé ? L’arme nucléaire est-elle un gage de paix et de stabilité ou de grande insécurité ?

Le débat

On l’a vu supra, le film était suivi d’un débat avec les intervenants Dominique Lalanne et Gérard Halie, animé et complémenté d’interventions de Martial Château (coprésident de SdN 72 et administrateur du Réseau SdN). Passées quelques informations techniques, l’antériorité du sujet a forcément fait remonter les séquelles, avanies, irresponsabilités… et les mutations des fondements du concept de la dissuasion nucléaire française, d’une riposte — du faible au fort — des années soixante à celui — du fort au fou — du moment. Des abstractions mis en musique pour le peuple français sans jamais l’avoir consulté et dont il pourrait-être massivement victime par accident, folie ou froide inconscience s’il n’y prend garde.

Quelques éléments de ce débat

Les conséquences sanitaires des essais nucléaires. — Une bonne dizaine de tonnes de plutonium ont été dispersées par plus de 2000 essais nucléaires (210 français) autour de la planète — dont 520, toutes nations confondues, dans l’atmosphère (50 français). Une grande partie y séjourne toujours, à laquelle s’ajoute quotidiennement les rejets autorisés (aussi, accidentels et/ou cachés) de quantité d’autres radionucléïdes de centrales dites « civiles ».

La responsabilité des États dans la prolifération nucléaire.. — La vente d’une seule centrale dite civile offre — potentiellement — au pays qui l’acquiert la possibilité d’armer une dizaine de bombes par an s’il parvient à enrichir l’uranium (5 à 10 kg suffisent pour faire une bombe). Exemple : sous le chah, les États-Unis fournissent à l’Iran son premier réacteur nucléaire de recherche  (le CRNT, de 5 MW), opérationnel en 1967. Pahlavi, aidé des États-Unis, visait 23 réacteurs à l’horizon 2000… avant qu’il ne soit renversé par une théocratie tout aussi autoritaire.

La formation et l’aide technique de la France à l’Israël à se doter de l’arme suprême. —La formation, d’ingénieurs et de techniciens par le CEA (France) a manifestement contribué à faire d’Israël une puissance atomique (au moins 80 bombes à ce jour et sans doute beaucoup plus). Un essai probable (conjoint ou avec contrepartie) dans les eaux sud-africaines. Ici, la fiabilité opérationnelle est aussi garantie par l’expertise de la coopération française. La France a aussi participé à l’accès de l’Afrique du Sud (pendant l’apartheid) à un arsenal nucléaire clandestin avant qu’elle n’y renonce en 1993.

La bombe à fric. — « Nos » banques cofinancent cette industrie mortifère et un rien irresponsable. Elles s’en dédouanent commodément, en arguant n’aider que les pays de l’Otan. Chacun a la possibilité de peser sur la sienne et d’exercer collectivement une pression citoyenne sur les financeurs d’armes nucléaires.

Patience et longueur de temps ! L’ organisation Pax Christi (Hollande) travaille sur un rapport identifiant 298 établissements financiers responsables du maintien et de la modernisation des armes nucléaires. Ça ne suffira pas, mais on croise les doigts pour que cette brochure soit disponible pour notre prochain rendez-vous au Mans (cf. encadré ci-dessous) et redonner de l’éthique à nos comptes, économies, placements…

L’impact sanitaire des essais nucléaires français. — Qu’ils aient été pratiqués au Sahara puis en Polynésie (qu’ils l’aient été en atmosphère, en souterrain ou sous les fonds marins), la santé des vétérans, des personnels civils et des populations autochtones ont été affectées et des mutations génétiques avérées sur les descendants directs et les générations suivantes. La reconnaissance de leur préjudice par l’État français traîne en longueur, de lois sélectives en difficultés administratives. Quant à leur indemnisation (loi Morin), s’il y a beaucoup de demandes, il a peu d’éligibles.

L’impact écologique des essais nucléaires français. — Il est presque évident dans l’atmosphère, moins dans le flanc de montagnes du Hoggar saharien, théâtre d’un essai nucléaire complètement raté le 1er mai 1962, et les plateaux des atolls du Pacifique qui ont été sérieusement ébranlés et qui recèlent du plutonium résiduel (environ une tonne au global) resté dans les puits de tirs. Jusqu’à quand, avec quelles conséquences ?

Les desseins du nucléaire militaire

Les « nouvelles » menaces. — Le regain de tension entre les USA et la Russie, entre les USA et la Chine, est patent et nous rapproche d’un climat de guerre froide. Pire ? La nouvelle stratégie de défense nationale américaine (publiée le 2 février 2018) s’achemine vers des armes nucléaires d’emploi ! Autant dire qu’elle décrédibilise toute la théorie stratégique de dissuasion.

La bombe à impulsion électromagnétique. — Les bombes à neutrons ont fait long feu. Létales pour les populations, elles étaient censées moins impacter les infrastructures. L’heure est aux bombes à impulsion électromagnétiques (effet connu depuis des lustres et que l’on retrouve aussi avec les bombes N) largables à haute altitude (40-50 km). Elles endommagent les appareils électriques et électroniques, brouillent les télécommunications, la robotique, les transports, les services hospitaliers… autant d’équipements dont les pays dits avancés dépendent totalement.

La République confisquée. — Seul, le chef de l’État a le pouvoir d’appuyer sur le « bouton rouge » (activation de clés numériques). En France, le glissement politique induit par la dévolution de décision au (quasi) seul président de la République (entité qui, au passage, perd tout son sens) en un temps très contraint (de l’ordre du quart d’heure) et donc sans consultation de la représentation nationale confine à la monocratie.

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le… — Paradoxalement le concept de puissance nucléaire lui-même a glissé au fil du temps. Il n’est plus absolument nécessaire de posséder l’arme nucléaire. Le seul fait d’en maîtriser la technologie et de potentiellement pouvoir la développer industriellement dans un temps court (moins d’un an) est devenu un marqueur de puissance  avec lequel les nations dotées doivent compter : Japon, Iran… Et nous ne parlerons pas ici de ceux qui ont « désinventé » la bombe et qui donc, ont un temps possédé ou voisiné avec sa détention et qui pourraient tout aussi bien la réinventer : Afrique du Sud, Brésil, Suisse…

Sortir de l’enfumage

Cet équilibre de la terreur qui perdure depuis soixante-dix ans compte bien d’autres avatars que nous ne pouvons tous énumérés ici. Citons pour seul exemple l’intervention militaire états-unienne en Irak sous le fallacieux enfumage de sa possession d’armes de destruction massive.

L’absence de conflit sur notre territoire et sur cette période conforte l’opinion dans une supposée efficacité des armes de dissuasion quand bien même se mènent ailleurs de nombreux conflits dans lesquels le pays est peu ou prou impliqué. Dissuader les esprits de la crédibilité de la dissuasion reste LE COMBAT D’IDÉES à mener et gagner avant l’irréversible, où qu’il se produise, délibéré ou accidentel.

Pour conclure

Pas d’empoignade à l’horizon ! Manifestement, aucun brution ni officiers du prytanée de La Flèche (incontournable établissement militaire de la ville) n’ont assisté à cette projection ni relevé le défit de la confrontation des points de vue et/ou celle de la doctrine de l’institution qu’ils ont épousée. Il est vrai qu’en matière d’avis sur l’arme atomique et le choix de la stratégie de dissuasion nucléaire, ils n’ont toujours été que le fait du prince et n’ont jamais été soumis ni à un grand débat national ni à consultation.

Tout n’a pas été dit, et nous ne prétendrons pas non plus retraduire ici tout ce qui l’a été. La séance de rattrapage se tiendra au Colisée du Mans, le 7 avril.

Concluons avec cette citation émise à Oslo par Mme Setsuko Thurlow (survivante d’Hiroshima), récipiendaire du prix Nobel de la Paix pour l’ICAN, le 10 décembre 2017 : « Les armes nucléaires ne sont pas un mal nécessaire, elles sont le mal ultime. »


Le site « La bombe et nous » (la bande-annonce, des extraits, des réflexions, des citations, des chiffres, le calendrier… rapides et efficaces), c’est là : . La bande-annonce est aussi là : .


SdN 72 et le cinéma Le Colisée vous proposent une seconde projection de ce documentaire, suivi d’un débat avec les mêmes intervenants, le samedi 7 avril, à 20 h 30, au Colisée du Mans. Par signaux de fumée, télégraphe Chappe, téléphone arabe, bouche à oreille, courriel ou messages sociaux, merci d’activer vos contacts !


[1] Parfois exprimé par la contraction : nucléaire « civilitaire ».

[2] À Mayak-Kychtym (URSS 1957), Windscale (Sellafield aujourd’hui, Angleterre, 1957), Three Mile Island (US4 1979), Saint-Laurent-Nouans (France 1969 et 1980), Tchernobyl (URSS 1986), Goiânia (au Brésil 1987), Fukushima (Japon 2011)…

[3] « International Campaign to Abolish Nuclear weapons » (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires).

[4] Traité dont les pays signataires — et qui auront à le ratifier — s’interdisent la possession, la fabrication, l’acquisition, l’hébergement, le transfert, la menace d’emploi, l’emploi des armes nucléaires.


Crédit photo : SdN 72. Affiche : reprise du visuel du film par SdN 72 (pour agrandir, cliquer dessus). Dessin de Patrick Dalaine dessinateur de presse avec son aimable autorisation, son blog : http://patdalaine.blogspot.fr.Ci-dessous : coupure de presse du journal Ouest-France du vendredi 2 février 2018 et tract de SdN 72.