Le film « La supplication » aux Cinéastes


Du  23 novembre au 6 décembre 2016 — Le Mans, Les Cinéastes

Documentaire du luxo-autrichien Pol Cruchten. Avec Dinara Droukarova, Iryna Voloshyna, Vitaliy Matvienko. Sorti en salle le 23/11/2016. Durée : 86 mn. Production : Red Lion Luxembourg. II avait déjà été diffusé en avant-première dans des festivals et à la télévision, sur ARTE, le 20 septembre 2016, mais à une heure indue : 23 h 45 ! Titre original : Voices from Chernobyl (cf. affiche ci-dessous).

Depuis ce mercredi 23 novembre 2016, le film « La supplication » adaptation du livre éponyme de Svetlana Aleksievitch est projeté aux Cinéastes [1].

« On dit Tchernobyl, on écrit Tchernobyl. Mais personne ne sait ce que c’est… » (…) « Ma fille avait six ans, elle me murmure à l’oreille, papa : je veux vivre ! »

Du livre…

Couv du livre La Supplication de S AlexievitchCe documentaire est une bouleversante transposition du livre de Svetlana Aleksievitch, La Supplication [2] (publié en 1997, longtemps censuré en Biélorussie). Son recueil rassemble une diversité d’émouvants témoignages collectés une dizaine d’années après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, survenue il y a plus de trente ans sur le réacteur n° 4 (le 26 avril 1986 [3]). Des récits poignants ! Ceux des quelques survivants parmi les centaines de milliers d’êtres zombifiès, mal équipés, employés 18 jours durant au confinement du cœur du réacteur en fusion puis, d’autres centaines de milliers à édifier un improbable sarcophage préfigurant le leur. Les « liquidateurs » ! Ceux encore, des suppliciés, rescapés, malades, handicapés, malformés… Meurtris physiquement, meurtris psychologiquement, ouvriers et techniciens de la centrale, fonctionnaires du Parti, militaires, praticiens, veuves, enfants, habitants… victimes et/ou témoins de toutes ces détresses entrainées par l’invraisemblable irresponsabilité humaine et technologique. Tous, embarqués sur le Styx qui mène aux enfers !

Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l’explosion de la centrale ? En dehors de cette « bible », pas grand chose. Souhaitons que le « Nobel » lui redonne un second souffle de popularité alors que la désinformation est à la manoeuvre avec les programme Ethos, Core [4] et autres Cowam, Trustnet…

…au film !

Film La Supplication 1Restituer cette monumentale oeuvre littéraire au cinéma était donc une gageure. Pol Cruchten est parvenu à la transformer, là où d’autres s’y sont semble t-il cassés les dents.

Le film ne dit rien du désastre lui même et qui perdure (l’équivalent de 350 bombes d’Hiroshima se déversant dans l’atmosphère), ni de la gestion de crise. Pas plus que le livre, l’objet du cinéaste n’est pas de documenter la catastrophe mais d’en extirper les drames intérieurs des protagonistes. Loin du déballage cependant, seule affleure une saisissante méditation sur la souffrance, la dignité, la résistance humaines. Acteurs — pros et amateurs — sont employés à « l’économie », transposés en figurants muets déconcertant d’étrangeté, ou crevant l’écran en plantant des regards intrusifs et interrogateurs dans celui de chacun des spectateurs. S’ils incarnent bien les voix, le texte lui, est toujours proféré hors champ, sans prise de son direct, énoncées exclusivement en voix off, illustrant des narrations respectant le texte original à la lettre. Comme Svetlana dans ses verbatims, Cruchten a réussi à restituer un ton dramaturgique unique respectant un fragile équilibre entre distance, décence, dignité et empathie, sans jamais sombrer en un redoutable lamento.

La succession de tableaux, fixes ou animés (beaucoup tournés à Pripyat en Ukraine) Film La Supplication 2 Voices fron Chernobylparticipe bien de la mise en résonnance des récits avec ses propositions d’images inspirées, intentionnellement oniriques. De singulières constructions qui suggèrent l’indicible sans le montrer.

On ne sort pas indemne de cette projection d’une indubitable puissance émotionnelle. Ce film dérange, secoue profondément le spectateur. C’est une épreuve ou les mots racontent les maux ! Comme le livre, il laissera des traces indélébiles dans votre subconscient. La résilience n’est pas au rendez-vous avec le mot fin, qui boucle cette languide compilation de cris étouffés ! Y sera t-elle, un jour, avec celle du nucléaire ? Dans ce domaine, seul, notre engagement pour un avenir énergétique durable peut être salutaire.


La bande annonce du film est là :  . Tout juste sorti en salle, le film n’est évidemment pas encore disponible en DVD.

Plusieurs fois réédité, le livre La Supplication – Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse est disponible en poche aux éditions J’ai lu. Il était paru la toute première fois en France en1998 chez J.-Cl. Lattès. Ce livre est évidemment présent et disponible sur toutes nos tables de presse.


[1] Pour les heures de passage, il faudra vous renseigner auprès de la salle.

[2] Le prix Nobel de littérature 2015 lui a été attribué pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ». Elle est la première femme de langue russe à recevoir la distinction. Autres titres qualifiés de « romans des voix » par l’autrice elle même : La guerre n’a pas un visage de femme ; Derniers témoins ; Les Cercueils de zinc ; La Fin de l’homme rouge

[3] Cet accident majeur de la centrale soviétique Lénine servira d’étalon de gravité à l’échelle INES, International Nuclear Event Scale. Il sera classé à posteriori au niveau 7 sur cette échelle internationale des événements nucléaires à 8 niveaux (de 0 à 7). Idem pour Fukushima !

[4] Projets européens visant, sans vraiment l’avouer, le retour de la population et son adaptation à vivre — heureuse — en zones contaminées.


Le film (et plus encore le livre) met des mots, des silences, des souffrances, des absences… qui ne sont évidemment que sous-jacent.e.s dans l’expo photos Ne m’oublie pas… Chernobyl, 30 ans déjà de Sylvain Guérant en ce moment à l’Herberie de Coulaines. Par contre ce voyage en milieu irradié présenté dans Ouest-France Dimanche du 20 novembre 2016 est complètement banalisé et nimbé d’un brin de désinformation, l’effet radiation et risques de contaminations y sont tout à fait minimisé (comparaison avec une radio ou un scanner…). Jusqu’au 16 décembre 2016. C’est là :  .


Illustrations : scanner de la couverture du livre, copies d’écran des affiches du film distribué en France et à l’étranger.