« Bons baisers de Mururoa », film de Larbi Benchiha, sur France 3


Lundi 15 février et jeudi 10 mars 2016 — sur France 3 et donc uniquement sur l’ouest de la France

Bons baisers de Moruroa est un film de cinquante-trois minutes du Rennais Larbi Benchiha, produit par Aligal Production et France Télévisions. Il a été diffusé le lundi 15 février très tard, à 23 h 45, et rediffusé le jeudi 10 mars, à 8 h 45, sur France 3 Ouest (Bretagne et Pays de la Loire) seulement ! Il est dédié à André Pottin (décédé le 1er juin 2015) et à Charles-André Fischer (décédé le 22 mars 2015), tous deux interviewés dans le film. Vous pouvez le voir dans son intégralité ici : ? . ll est disponible en DVD, ici : ? ▶.

Film bons baisers de MururoaElle est belle la carte postale, barrée d’un « Bons baisers de Mururoa » à la police stylée, triée parmi les meilleures typographies de l’époque ! Clinquante, sur papier couché, 220 g, vernie, enfilade de cocotiers sur une mer émeraude et fleurs de tiaré… Une génération en a rêvé. Des appelés du contingent pour la plupart. Une occasion (immanquable à l’époque) de s’offrir les antipodes et ses clichés tout en fuyant l’étouffante cellule familiale (nucléaire ou pas [réf. sociologie]).

La Polynésie ! Exotisme, lagons, soleil, vahinées… Pendant que les copains de classe, malchanceux, crapahutent à Auvours, les plus malins se faisaient pistonner pour Tours… par le(s) député(s)  [1] Joël Le Theule et autres… via les clubs de foot : rapprochement géographique pour l’appelé et le club, clientélisme pour l’élu, tout le monde s’y retrouve. Eux avaient décroché la timbale et s’étaient cru plus chanceux ! Vingt ans, trente ans après leur retour, la mariée est moins belle !

Et si les centres d’expérimentations exposaient des bidasses pas entraînés, pas ou mal protégés, les personnels civils et les autochtones en ont pris, eux aussi, pour leur « grade ».

« Le poids des maux, le choc des photos »

Envers du décor ! Trois, quatre, cinq décennies plus tard, Larbi Benchiha a retrouvé des acteurs de l’époque. C’est la gueule de bois ! Et la gueule cassée pour certains. Des gueules emportées, qu’on croyait remisées aux premières décennies 1900, immémoriaux souvenirs de la boucherie de 14-18. Un siècle plus tard, « l’éclat » atomique s’est substitué à l’éclat d’obus pour produire des méfaits tout aussi insoutenables au nom d’un hypothétique équilibre de la terreur, prétendument dissuasif. Les témoignages d’André Potin (décédé depuis), de Jean-Luc Mingant, de leur face meurtrie d’aujourd’hui, et ceux de bien d’autres mutilés de l’intérieur, vont vous planter sur votre séant et vous soumettre, en toute humilité, à leur écoute. Leurs témoignages sont écrasants !

Extraits choisis

Franc du collier, André Potin reconnaît son émerveillement devant le programme choisi qu’on lui proposait : « On pouvait regarder le champignon. C’était magnifique à voir. C’était beau à voir » [2] et ne s’en départit pas : « Vous êtes en admiration devant un truc comme ça ! » Comment ne pas le croire ! Ceux-là, de la première décennie, n’avaient guère que la voix de la France, la « voix de son maître » — Charles de Gaulle — à se mettre entre les oreilles. Et il s’y entendait déjà, le bougre en flagornerie, démagogie et langue de bois : « Eh oui ! la Polynésie a bien voulu être le siège de cette grande organisation, destinée à donner à la puissance française le caractère de la dissuasion, qui peut, qui doit à tous, dans un monde dangereux, nous assurer la paix » (…) « Il y a d’ailleurs (…) des compensations, le développement qui accompagne cette organisation du Centre est éclatant. » Éclatant, oui, à tous les points de vue, en effet ! On vous laisse découvrir cette cynique séquence d’un discours à Tahiti du général atypique qu’on nous vante aujourd’hui. Traveling : comme la plupart des ex-bidasses, les fous furieux des « Trente glorieuses » ont choisi la nostalgie et/ou l’amnésie.

Mais, le calvaire n’est pas que pour lui (eux) : « Le pire qui me reste, c’est un enfant handicapé. Pour lui, je me battrai jusqu’à mon dernier souffle afin d’obtenir que l’Etat reconnaisse ce qu’il s’est passé. » A minima, la Nation responsable devrait suppléer aux besoins de ce dernier. Mais le temps politique, économique, législatif et juridique n’est pas celui des victimes touchées dans leur chair et condamnés à la double peine avec des procédures administratives et juridiques interminables, parfois vaines. Et, on le verra, André Potin n’est pas isolé dans son malheur et celui transmis à son fils…

Motus (îlot de sable coralien en tahitien) et bouches cousues

« On avait aucune information concernant les risques des essais nucléaires, absolument rien. Au contraire, fallait pas en parler, moins on en parlerait et mieux on se porterait ! » Dans un document d’archive, on entend même le commandant de bord inviter les marins à aller assister à un spectacle de pyrotechnie : « Tout le personnel est autorisé à sortir pour regarder le nuage » sans aucune protection, au mieux de dérisoires et affligeantes consignes. Pourtant, Annie Thébaud-Mony, docteure, sociologue de la santé à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (que nous avions reçue le 13 octobre à la 25e heure du Livre 2012, c’est là : ? ), affirme qu’à l’époque : « Tout est à peu près connu sur la toxicité des rayonnements ionisants » et que ceux qui organisaient les essais nucléaires « étaient complètement conscient des risques ». Un avis corroboré par Florence Bourel, détachée du CEA de Villacoublay, qu’on a « attirée sur les sites principalement par l’argent » et qui travaillait sur zone en inter-rafales (entre deux tirs) : « En tant que métropolitaine, on me disait de ne pas manger les noix de coco (…)  mais les Polynésiens qui sortaient des poubelles entières de poisson, je ne les ai jamais vus être pris. » Témoignage d’une inconséquence criminelle et d’une discrimination accablante pour les autorités françaises ! Les mêmes ne la dissuaderont pourtant pas, elle, la « métro », et tant d’autres, à se baigner, faire de la plongée et du ski nautique dans ce lagon ! Il y aurait, décidément, de nouvelles cours internationales de justice à inventer !

Inventaire(s) à la Sievert (Sv)

Aux témoignages et archives s’insèrent des décryptages de scientifiques, de spécialistes et de praticiens de terrain. Annie Thébaud-Mony, Al Rowland (généticien), Alain Dubois (chercheur en biologie), Habraham Behar (biochimiste), Christian Sueur (pédopsychiatre) et une brochette d’autres éclairent les béotiens que nous sommes, dans un langage toujours accessible, sur les effets et spécificités de la radioactivité en cas d’irradiation et, plus grave, de contamination interne (pénétration par la peau, la respiration ou l’ingestion). Si certains des radioéléments ne feront que transiter dans l’organisme, d’autres vont y séjourner, se fixer et s’accumuler. Chacun avec ses lieux de prédilection : le strontium, les os ; l’iode vers la thyroïde ; le césium, le foie… jusqu’à la maladie radio-induite, cancers évidemment, simple, multiples, à répétition, leucémies, fausses couches, stérilité… Un impact plus ou moins différé sur la santé de l’être vivant, dans tous les cas, mais qui se transmettra aux descendants lorsque les cellules germinales, ovules et spermatozoïdes, sont atteintes (surtout les cas d’irradiations importantes et/ou répétées), impliquant de possibles mutations génétiques chez les descendants directs et ceux à venir jusqu’à N générations (phénomène aggravée par la consanguinité sur les atolls, nous dit-on), enfants morts-nés, anomalies morphologiques, troubles du comportement, troubles du développement, retards mentaux ou psychiques… On devine, les quotités de souffrances physique et psychiques, non dites, dans ce documentaire.

Une fin sans panache

Victimes collatérales, Joseph Koukmorie (11 enfants, six sont morts, d’autres malades !), mais également les habitants des îles voisines (exemple, à Tureia, ou les insulaires deviennent des sortes de cobayes des effets de la radioactivité), Jean-Louis Mouna (plusieurs malformations) descendant d’une mère et grand mère contaminées via les nettoyages répétés des vêtements de leurs proches travaillant pour le CEP [3].

À Moruroa et Fangataufa, les essais nucléaires ont laissé derrière eux toutes sortes de radioéléments, peu à très nocifs et des centaines de kilos de plutonium dans le sous-sol dont les émissions seront neutralisées dans… 240 000 ans. L’éternité ! En 2011, M. Julien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire de la défense, invitait à considérer ces atolls comme définitivement inhabitables.

T’es trop long !

Une dernière citation de Florence Bourel : « vu l’âge qu’on avait c’est comme si nos parents nous disaient vous ne risquez rien, on avait confiance dans la hiérarchie puisque pour nous on ne pouvait pas nous mentir », et d’André Potin « Moi, j’y croyais beaucoup, servir mon pays ». Mal avisé, celui qui conclurait à une grande naïveté, nous connaissons tellement d’autres aberrations, d’aujourd’hui, tout aussi mal emballées…

Bons baisers de Mururoa ! Au final : un baiser de Judas : « une traîtrise, une félonie. Un geste d’affection cachant une intention sournoise » (expressio.fr). Vas pour cette conclusion !


Numération

2423 bombes atomiques ont été pétardées à travers le Monde de 1945 à 2016, dont 210 françaises ! Entre 1966 et 1996, la France a procédé à 193 essais nucléaires à Mururoa et Fangataufa, en Polynésie, dont 46 dans l’atmosphère (plus, 4 aériens et 13 souterrains auparavant au Sahara, de 1960 à 1966). Ils seront « arrêtés » en 1996 par Jacques Chirac, qui, après une longue pose, en avait ordonné la reprise aux lendemains de son élection. Une campagne internationalement décriée et stoppée après… 6 essais souterrains. 150 000 personnels civils et militaires ont travaillé au CEP (hors Algérie), et beaucoup — 1/3 — venaient de l’ouest. Les retombées radio-actives ne les ont pas épargnés, comme elles n’ont hélas pas épargné les populations locales polynésienne (et saharienne) comme en témoignent des habitants des atolls (supra).

Stop ou encore (jeu radiophonique de l’époque) !

La France n’en a pas pour autant fini avec les essais nucléaires. Malgré son adhésion au TNP, Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires [4], qu’elle n’a toutefois pas ratifié et du TICE, Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (du 24 septembre 1996), signé et ratifié celui-là, mais qui n’est pas encore entré en vigueur (vous avez dit embrouille ?), elle poursuit, au Barp, près de Bordeaux, des « simulations » par micro-explosions avec le Laser Mégajoule !


[1] Il sera aussi, maire de Sablé-sur-Sarthe, conseiller général de la Sarthe, et plusieurs fois ministre. À l’Assemblée nationale, il s’investit dans la commission de la défense nationale et des forces armées, dont il deviendra vice-président puis président. Chantier de prédilection : la force de frappe, décidée, par le général de Gaulle. 

[2] J’avais observé le même ravissement chez K… mon collègue de la SICO, guère plus âgé que moi, à son retour, après avoir servi sur la frégate « De Grasse » (si mes souvenirs ne me font pas défaut) ayant assisté à au moins l’un de ces essais. Moi, je refusais déjà les radioscopies (non, ce n’est pas qu’une ancienne émission de radio) embarquée systématiques (en camion) et serais objecteur (je n’apprendrais que bien plus tard que le site de la Sico était ravagé par… l’amiante).

[3] Là, un parallèle s’impose encore avec certaines femmes de salariés de la SICO [ex DURA] du Mans, malade de l’amiante respirée par l’entretien de leurs vêtements de travail.

[4] Des armes qu’elle prétend avoir réduit à la stricte suffisance et promet qu’elle n’ira plus loin que si la volonté de progresser des autres états est unanimement partagée.


Photo : capture d’écran.