Fukushima : cinq ans ! rassemblement au Mans


Samedi 12 mars 2016 — Le Mans et Sarthe

Fukushima, c’est d’abord un séisme (naturel) de magnitude 9 sur l’échelle de Richter au large des côtes nord-est du Japon, suivit d’un tsunami (naturel) et d’un quadruple accident nucléaire à responsabilité humaine ! Comme dans de nombreux autres départements français et un peu partout dans le monde, le groupe anti-nucléaire SDN 72 a mené une action de rue, ce samedi 12 mars, pour rappeler la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 (il y a cinq ans). SDN 72 en mènera d’autres, en avril, pour commémorer Tchernobyl (il y a trente ans).

Premier des graves accidents de l’ére nucléaire ayant entraîné de nombreuses victimes, Kychtym (dans l’ex-URSS), le 29 septembre 1957 (vers 16 h), ne figure que très rarement au panthéon de l’horreur atomicide. C’était il y a cinquante-neuf ans, dans des « républiques » sévèrement muselées ! Surtout, l’omerta arrangeait tous les pays nucléarisés !

Autres temps, autres… Que nenni ! Dans le domaine nucléaire, le déni, l’intox, la désinformation, l’embrouille restent, ici et là, une constante.

« Tchernobyl, Fukushima, plus jamais ça ! »

fuku-5-ans-12316-ph-3 Une cinquantaine d’anti-nucléaires se sont relayés pour ce cinquième rendez-vous commémoratif de Fukushima, sur la place Saint-Nicolas du Mans, dont un groupe constant de vingt-cinq quidams faisant corps autour de nos banderoles, affiches, panneaux, drapeaux… pendant que d’autres se proposaient au dialogue, tout en distribuant deux tracts distincts aux chalands. L’un, spécifique sur Fukushima et son verso plus général sur le nucléaire (cf. ci-contre), l’autre sur l’appel au rassemblement anti-nucléaire de Flamanville des 1er et 2 octobre, auquel nous sommes associés (c’est là : ?, nous vous en reparlerons plus tard). En parallèle, plusieurs d’entre-nous ont échangé avec les passants avec assertivité : l’art de faire passer un message difficile sans passivité, mais aussi sans agressivité.

Au-delà de la démonstration visuelle, sous- jacent à l’hommage et la solidarité aux victimes, la « célébration » et la commémoration du désastre, il fallait aussi y voir notre volonté de sensibiliser et mobiliser plus de monde afin de précipiter la sortie du nucléaire [1].

Tu n’as rien vu à Fukushima ! [2]

fuku-5-ans-12316-ph-2A la veille du procès de trois ex-dirigeants de l’ancienne centrale ravagée, le 11 mars, le Japon a lui aussi rendu un hommage national aux victimes. Surtout aux victimes du tremblement de terre et du tsunami (18.500 morts)… Moins aux personnels exposés au traitement post-explosions des réacteurs 1, 2 et 3 et la piscine de désactivation du réacteur 4 de Daiichi et des habitants de la zone trop tardivement évacués. Durand cinq ans, le cynisme de l’industriel Tepco (Tokyo Electric Power Company) n’a eu d’égale que le négationnisme des autorités japonaises, niant tour à tour l’étendue de la catastrophe, la nature et la diversité des nucléïdes et l’ampleur de la radioactivité dégagés dans l’atmosphère, l’océan et les nappes phréatiques. Idem pour l’exposition des 37.000 liquidateurs (ouvriers, sous-traitants, nombreux précaires et ceux à venir), victimes directes ou différées intervenues sur le site, sans compter l’inflation des cancers, notamment de la thyroïde chez les enfants, l’augmentation des leucémies et des maladies cardiovasculaires… avant tant d’autres, plus lentes à se révéler. Les véritables conséquences sanitaires restent hélas à venir !

fuku-2016-2Alors que le Premier ministre du cabinet en poste lors de l’accident, Naoto Kan, bat tardivement sa coulpe avec « stupeur et tremblement » dans une contrition toute japonaise, le nouveau (déc. 2012), Shinzö Abe [3], nationaliste et pro-nucléaire revendiqué, s’impatiente de le relancer. De la technique de management nippone des 5 « S » [4] ou des retours sur expérience d’Hiroshima, de Nagasaki à Fukushima, lui, comme la protagoniste du roman de Marguerite Duras, n’a rien vu à Fukushima (cf. intra) ni rien appris de Minamata (pollution au mercure de la baie éponyme). Pour preuve, cette déclaration d’inconscience affligeante de l’impétrant : « L’océan est assez grand pour diluer cette radioactivité. » Les habitants du littoral, jusqu’aux côtes américaines, apprécieront !

Secoués par l’accident nucléaire, dès 2011, le courroux nippon s’était massivement exprimé pour atteindre un seuil de 150 000 manifestants anti-nucléaires en 2012. Des manifestations qui perdurent en marge des commémorations solennelles. Exemple : le samedi 26 mars 2016, 30 ans après la catastrophe de Tchernobyl, et 5 ans après celle de Fukushima 35 000 personnes ont défilé dans les rues les plus commerçantes de Tokyo.

Aujourd’hui, selon des sondages (désolé !), plus de la moitié des Japonais restent opposés à sa relance. Nonobstant, en 2012, le parti libéral-démocrate (droite) avait largement remporté les législatives. Et lesdits députés voter pour leur chef de clan et nucléocrate compulsif Shinzö Abe…

Alors que l’intégralité des quarante-trois réacteurs avait progressivement été arrêtée pendant vingt-trois mois (du 15 septembre 2013 au 11 août 2015) et plus de trois ans pour beaucoup, trois d’une série de cinq unités pressenties ont effectivement redémarré à l’été 2015 et début 2016. Soit les tranches Sendai 1, le 11 août 2015 ; Sendai 2, le 15 octobre 2015 (société Kyushu Electric Power, pour lesquelles le tribunal de Fukuoka est toujours saisi d’un recours d’ONG et de citoyens) ; Ikata 3, le 26 octobre 2015 (Cie Shikoku Electric Power). Après Sendai, les unités 3 et 4 de la centrale de Takahama (Cie Kansai Electric Power) avaient, elles aussi, obtenu le certificat de sûreté mais elles seront vite arrêtées sur décision de justice avant même d’être connectées au réseau. Une décision qui sera évidemment levée par la suite, d’où des préparatifs de redémarrage de la tranche 3, en janvier 2016, puis de la 4, le 26 janvier 2016. Mais une fuite d’eau radioactive sur cette unité allait une nouvelle fois stopper le bel emballement suite à une nouvelle injonction de justice s’appuyant sur cet incident, en date du 9 mars 2016. Mais le jugement n’est que suspensif !

fuku-le-mans-sam-12/4/16Après avoir relevé les seuils de tolérance de radioactivité pour la population, le gouvernement japonais presse maintenant les habitants à retourner chez eux, dans des zones encore contaminées, en annonçant son intention de leur couper les indemnisations dès 2017. Le premier objectif est financier : stopper les coûteux dédommagements des populations évacuées. Le second, commandé par l’agenda international : les Jeux Olympiques de 2020 ! Le passage de la fameuse flamme et même des compétitions sportives sont envisagées dans le périmètre impacté. Là, l’impérieux et impérial dessein sera de montrer au monde entier que Fukushima est redevenue propre et que la pérennité du nucléaire n’en est donc pas compromise.

En filigrane, le pays du Soleil levant promeut l’exportation de réacteurs (en Afrique, en Amérique latine, en Asie). De son côté, la firme nationale Mitsubishi Heavy Industries espère construire une vingtaine de nouveaux réacteurs Atmea (Turquie, Viêt-nam, Jordanie), développés par une coentreprise nommée Atmea, avec la déconfite Areva NP (à laquelle le groupe souhaite participer plus largement au capital et pour partie… à son rachat). Mais de l’intention à la concrétisation, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres !

La Constitution du Japon (3 mai 1947, sous domination américaine) ne l’autorise qu’à maintenir des forces d’autodéfense. Shinz? Abe a bien réaffirmé, en août 2015, son engagement à ne pas faire de son pays une puissance dotée de l’arme nucléaire, lors de la cérémonie au mémorial d’Hiroshima et de Nagasaki. Cependant, il ne dédaigne pas le double langage. Un de ses objectifs annoncés est d’expurger l’article 9 de son verrou pacifiste, qui retire à l’État le droit de belligérance. Le vote d’un amendement à la « loi fondamentale sur l’énergie atomique » en juin 2012 avait déjà validé ceci : « la politique de l’énergie nucléaire du Japon doit contribuer à la sécurité nationale ». Un autre, depuis, concernant la sécurité, autorise le déploiement de soldats japonais hors de l’archipel et leur intervention dans des conflits à l’étranger, n’excluant pas, en creux, le transport d’armes nucléaires de puissances étrangères. Hors, le pays redoute par dessus tout certains de ses voisins (Corée du Nord, Chine) dotés de cette arme. Il est sous le parapluie nucléaire américain mais recèle néanmoins d’importants stocks de plutonium (157 tonnes, dit-on, de quoi pouvoir réaliser cinq mille têtes nucléaires) et les capacités requises pour assembler rapidement des armes atomiques.

Alea jacta est ?

Retour à la maison ! Pour certains, et pas des moindres, le sort en serait jeté ! Interrogé par Libération, le 3 mars 2016, Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) n’a pas caché au journaliste qui l’interrogeait qu’« Il faut imaginer qu’un accident de type Fukushima puisse survenir en Europe ». Pour notre part, nous y puisons autant de raisons de nous en insurger et de poursuivre inlassablement notre combat ! Puisse ce blog vous déterminer à vous y associer.


[1] Au Mans, ce même jour, de 14 heures à 15 heures, SDN 72 s’était associé à la deuxième manifestation contre l’état d’urgence (instauré le vendredi 13 novembre 2015 et reconduit à deux reprises depuis) devant la palais des congrès du Mans où se déroulait également le « Carrefour de la pensée » sur un thème particulièrement d’actualité : « Où va la démocratie ? ». Télescopage des rendez-vous. Entre notre manifestation à suivre et la conférence du journaliste Nicolas de la Cannière — La ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une utopie en marche, une utopie qui marche —, pour certain.e.s, le choix n’a pas été facile.

[2] Détournement de dialogues originaux autour de « Tu n’as rien vu à Hiroshima ! » du film Hiroshima mon amour réalisé en 1959 par Alain Resnais à partir d’un texte éponyme de Marguerite Duras, qui sera publié l’année suivante.

[3] Élus par la Diète (le parlement japonais, composé d’une chambre basse [des représentants/députés] et d’une chambre haute [des conseillers/sénat].

[4] Technique d’amélioration continue des tâches effectuées dans les entreprises. Seria (supprimer l’inutile [débarrasser]), Seront (situer les choses [ranger]), Semois (faire scintiller [nettoyer]), Seinâtes (standardiser les règles [ordonner]), Shizuoka (suivre et progresser [être rigoureux]).


Nous l’avions côtoyée lors d’Alternatiba (et d’autres bien avant)… Le 9 mars (jour de manif contre la loi El Khomri et trois jours avant le 5e anniversaire de Fukushima), Toinette (Antoinette) Lambert s’est éteinte à l’âge de quatre-vingts printemps. Elle était un des piliers du collectif Pour une terre plus humaine (dont elle a été trésorière), militante d’Artisans du monde, rue Nationale, au Mans (dont elle a été présidente et avait grandement participé à créer) et de tous les combats politiques, syndicaux, associatifs : contre l’apartheid, la dette des pays du tiers-monde, pour la reconnaissance du Sahara occidental… Investie corps et âme, oblative, elle était d’un infatigable dévouement. Continuons à faire vivre ses valeurs et ses combats !


Photos et tract : SDN 72. Plus bas, coupure de presse du journal Ouest-France du dimanche 13 mars 2016.

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