« Ceux qui s’amusent à ça… » Stéphane Le Foll


Mardi 4 mars 2015 — Sarthe (France, planète)

« Le jour où on pourra trouver, et on trouvera ceux qui s’amusent à ça, ben, y aura des sanctions… On — les — trouvera — tôt — ou tard ! (martelé) ». Déclaration de Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture et de la forêt, porte-parole du gouvernement (1), le mercredi 4 mars 2015, à propos des drones qui survolent « nos » (ou plutôt leurs) centrales nucléaires, l’Île Longue, l’Elysée, Paris, fréquemment et dans une anomie militaro-juridique totale. 

Tout le monde sait qu’il ne sert à rien, quand la fièvre est là, de casser le thermomètre pour la faire chuter ! Pas « notre » ministre. Disons plutôt qu’ils feint de n’en rien savoir. Quand le doigt pointe nos centrales nucléaires d’une dangereuse vulnérabilité, lui ne regarde que le doigt qu’il envisage de mettre à l’index. Sanctionner, sanctionner… Mais le problème reste entier, Monsieur le Ministre. Celle d’une technologie hypercentralisée, qui en fait potentiellement une cible de choix, dupliquée cinquante-huit fois en seulement dix-neuf lieux différents du territoire (sans compter les sites et engins militaires) et qui, cerise sur le gâteau, en tant que cibles, sont chacunes hyperdangereuses.

Tout ce qui tombe du ciel est banni

Pour avoir lu, vu, entendu (dont vous) différents débats concernant ces drones (sur des médias mainstream et convenus, s’entend), nous avons tous été estomaqués de l’incurie des commentateurs. Une constante :  PETITS, les drones. Petits ! La plupart n’ont ni été photographiés, ni filmés, ni interceptés, ni identifiés, ni… ! Soyons beaux joueurs, admettons que ces faux bourdons (ces essaims devrait-on dire !) soient petits. Hélas, la réalité est plus ténue. Par le passé, les dites centrales interdites de clairance (survol interdit dans un rayon de 10 km) l’ont pourtant été par des engins conséquents. De petits avions de tourisme (Penly, 20 juin 2014, un pilote et deux passagers, et ce n’est pas le seul) mais pouvant transporter des charges de plusieurs dizaines de kilos ; au moins un parapente à moteur (le 2 mai 2012 à Bugey, dans l’Ain, c’est là : , mais aussi de Garoña, en Espagne, le 5 juin) ; un ULM et des roquettes… qui ont touché l’objectif.

Mais le « frelon » en « iste » reste à venir !

Pourtant, la sécurité avait été annoncée « renforcée » sur les sites nucléaires français à la suite du crash d’avions projetés sur les tours jumelles du World Trade Center, aux Etats-Unis. L’intrusion de ces drones dans l’espace aérien des centrales prouve bien que la surveillance radar (ANGD), les batteries de missiles et l’intervention d’avions de chasse n’est pas la réponse idoine ! Tout l’espace aérien des centrales est vulnérable aux actes malveillants (terroristes, résistants de telle ou telle cause, psychopathes (ex. : Andreas Lubitz, le copilote allemand de l’A320 du vol Barcelone-Düsseldorf, bien sûr, et il a aussi des prédécesseurs) mais aussi aux accidents.

Le Réseau SDN avait d’ailleurs révélé détenir un document classé « Secret défense » sur l’incapacité de résistance des doubles enceintes de confinement du nouvel EPR de Flamanville en cas de crash volontaire ou accidentel d’un avion de ligne (idem pour : Olkiluoto en Finlande et Taishan 1 et 2 en Chine). Pour deux enceintes ! Imaginez la vulnérabilité des cinquante-huit autres réacteurs, pour ne rester qu’au périmètre franco-français, qui n’en possèdent qu’une ! Sur réquisition de la section antiterroriste du parquet de Paris, Stéphane Lhomme (2), son porte-parole d’alors, sera prestement placé en garde à vue le 16 mai 2006 par la DST (Direction de la surveillance du territoire) et sommé de livrer ses informateurs. En réaction, le document sera publié le lendemain sur les sites internet du Réseau Sortir du nucléaire, Greenpeace et Les Amis de la Terre (et de beaucoup d’autres, plus tard). L’affaire sera classée sans suite.

S’il est effectivement hautement improbable que le ciel nous tombe sur la tête, la chute d’un météorite (et autres géocroiseurs) entrant en collision directe avec une centrale nucléaire, ou indirecte, en provoquant un raz de marée (s’il tombe au large d’une côte), l’est tout autant et le risque estimé à zéro. Pourtant, le 15 février 2013, l’onde de choc et des fragments de météorite (dont au moins un repêché de plus de 500 kg) avaient frappé la ville et les environs de Tcheliabinsk (3) en Russie (mille cent blessés, une centaine d’hospitalisés et des dégâts matériels), à 80 km de la région de Mayak (centrale nucléaire [mé]connue pour être le premier des plus graves accidents nucléaires, c’est là : ?). Très vite, l’agence atomique russe avait rassuré son monde, aucun dégât n’avait impacté de centrales nucléaires dans la région et toutes les opérations se poursuivaient comme d’habitude…

Tout ce qui rôde autour d’une centrale est banni

Tout comme les drones peuvent être commandés à distance, d’autres engins plus aléatoires peuvent être projetés d’un point éloigné ou simplement déposés. Le 18 janvier 1982, cinq roquettes sont tirées sur le surgénérateur Superphénix de Malville encore en chantier. Heureusement, le réacteur n’était pas encore chargé en combustible. L’opération aurait été tout aussi possible s’il l’avait été ! Une action revendiquée de nombreuses années plus tard par un militant écologiste suisse devenu député, Chaïm Nissim. Selon Wikipédia (source aléatoire), le lance-roquettes fut obtenu par la Fraction Armée rouge grâce à Carlos et les Cellules communistes combattantes belges. Quant au FLB, Front de libération de la Bretagne, il commettra deux doubles attentats contre des équipements périphériques de la petite centrale nucléaire des monts d’Arrée, sise à Loqueffret-Brennilis, le 15 août 1975, sur une prise d’eau de turbine et un poste de téléphone, l’autre (avorté) à la base de la cheminée servant à la filtration et au rejet de l’air, puis, le 14 janvier 1979 sur deux pylônes THT.

On le voit, l’extrême vulnérabilité des centrales nucléaires est patente (sans même parler des accidents de dysfonctionnement), au point qu’on s’étonnerait presque qu’aucun groupe terroriste ne se soit encore emparé de cette opportunité de faire vaciller les prétentieuses métropoles occidentales. Mais le regretté Charb (dessinateur de Charlie Hebdo) ironisait aussi dans un dessin légèrement antérieur à son assassinat, le 7 janvier 2015, faisant dire à un fou de Dieu : « Attendez ! On a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux ! »

Aux nombreuses intrusions de militants de Greenpeace, notamment (dont certaines coordonnées) dans des centrales nucléaires françaises (4) — une douzaine en tout (Fessenheim, Gravelines, Golfech, Cruas, Nogent-sur-Seine) —, la seule riposte de votre gouvernement a déjà été de proposer d’accentuer la pénalisation de ces lanceurs d’alerte que vous déclarez par ailleurs vouloir protéger. La réponse à la vulnérabilité du parc nucléaire du pays — sur fond de bourdonnement de drones et de traumatisme post Charlie ­— sera certainement de promulguer de nouvelles lois limitantes, répressives, un Patriot Act à la française qui ne dit pas son nom, juste un peu plus mou du genou, mais un Patriot Act néanmoins liberticide qui visera en priorité les mouvements politiques et sociaux, « explosant » l’unanimisme républicain du 11 janvier.

Droit dans ses bottes, dans cette même émission, le ministre Le Foll affirmera que ces survols sont « pris très au sérieux », mais qu’« il n’y a pas d’inquiétude à avoir ». A n’en pas douter, sa bouteille de jasnières est à moitié pleine. Le cinéaste Ernst Lubitsch avait une approche plus pragmatique des réalités : « Les optimistes ont terminé à Auschwitz, les pessimistes à Hollywood. »


Cet article pourra être avantageusement compléter par la lecture de celui de la revue Sortir du nucléaire n° 64 (à la page 9) : c’est là : .


(1) Mais aussi député de la 4e circonscription de la Sarthe, élu municipal du Mans et probable futur candidat à la mairie de cette ville.

(2) Le Canard enchaîné révélera plus tard (édition du 8 avril 2009) qu’EDF l’avait aussi placé « sous surveillance » par contrat par la société suisse « Securewyse ».

(3) Toungouska, en Sibérie centrale, avait aussi été impacté par un phénomène mal identifié, le 30 juin 1908, classé comme la plus grosse explosion connue de l’histoire humaine due à la rencontre d’un corps céleste avec la Terre.

(4) Intrusions de militants dans les  centrales nucléaires : cinquante-cinq militants, le 18 mars 2014, à l’intérieur de Fessenheim ; 10, le 5 mars 2014, à Bugey (Ain) ; 5 à Gravelines (Nord) ; 29, le 15 juillet 2013 à Tricastin (Drôme) ; 2 (survol), le  2 mai 2012, à Bugey ; 9, le 5 décembre 2011, à Nogent-sur-Seine, et 2 à Cruas (Ardèche) ; 6, le 19 octobre 2007, à Dampierre ; 12, le 27 mars 2007, à Belleville-sur-Loire ; 45, le 4 décembre 2003, à Penly ; 3, le 8 mai 1996, à Golfech ; 10, le 10 octobre 1986, à Cattenom.


Photos, illustrations : sans !

5 mai 2015 :
Cela n’aura pas tardé ! Le projet de loi d’exception, « Loi renseignement », a été adopté en première lecture par une très large majorité (438 voix pour, 86 contre et 42 abstentions) à l’Assemblée nationale, le mardi 5 mai. Les quatre députés du groupe PS-SRC ont voté pour, Le Méner contre, à l’inverse de la majorité de son groupe. Elle évoluera, ou pas, avec la navette habituelle, mais dans le cadre de la procédure rapide. Mais, à coup sûr, notre liberté n’y gagnera pas !

Juin 2015 :
La loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires a été publiée au Journal officiel le 3 juin 2015, c’est là : .